Le souffle secret des vallons encaissés autour de Montsauche-les-Settons

Un relief inscrit dans la mémoire des granits

Entre le lac des Settons et les premiers contreforts du Haut-Morvan se tisse autour de Montsauche un étrange réseau de vallées profondes et serrées. Ces vallons encaissés ne sont pas de simples creux dans le paysage : ils incarnent l'histoire ancienne de la région, tissent ses usages, parfois sa légende. Mais qu’y a-t-il derrière cette topographie particulière, et que nous racontent ses formes sur le pays nivernais ?

Pour comprendre les spécificités des vallons encaissés, il faut d'abord se pencher sur la géologie. Le Morvan central, où trône Montsauche (cœur géographique du massif selon l'IGN), repose sur un plateau granitique qui culmine entre 500 et 900 mètres. Au fil des millénaires, ce socle a été lentement creusé par une multitude de ruisseaux descendant vers la Cure, l’Yonne ou l’Anguison, formant des ravines profondes. Sur la carte de Cassini du XVIII siècle, ces velours sombres marquent déjà le tissu du paysage, structurés autour des « rivières de Montsauche » et de « la Dragne », précieuse aux lavandières. (Source : Géoportail)

Un paysage modelé par l’eau et le temps

Ce qui frappe d’abord, c’est la taille modeste mais la forte déclivité de ces vallons : souvent, ils dépassent les 50 à 100 mètres de profondeur sur moins de 1 km de large, avec des pentes abruptes qui dévalent depuis les plateaux vers les fonds encaissés. Cela s’explique par la résistance du granit à l’érosion, qui canalise les eaux dans des lignes bien marquées, et par la vigueur du réseau hydrographique à la faveur d’un climat très humide (env. 1200 mm de pluie/an selon Météo-France).

  • La Dragne : l’un des cours d’eau les plus encaissés, serpente sur 33 km entre 560 et 350 m d’altitude. Par endroits, ses gorges se réduisent à un étranglement de 20 mètres de large, surmontées de parois moussues (voir topo IGN, feuille Saulieu, 1/25 000).
  • Le ruisseau du Baye : plus discret, il modèle une succession de petites combes forestières entre Settons et Ouroux, difficiles d’accès et parcourues par une faune discrète.

Ces fonds de vallons restent longtemps humides, tapissés de mégaphorbiaies (grandes herbes) et de forêts riveraines qui favorisent une biodiversité bien spécifique. L’hiver, la brume y stagne – « la vallée fume.., signe que le diable bat sa femme », disait une expression locale, souvent recueillie sur les marchés de Montsauche.

Des microclimats et refuges de biodiversité

L’orientation nord-sud de la plupart de ces vallons joue un rôle-clé dans la création de microclimats : les fonds encaissés restent frais en été, tandis que les versants sud sont plus lumineux et parfois encore cultivés. Plusieurs espèces végétales et animales profitent de ces contrastes :

  • Le lys martagon (Lilium martagon) : rare en Bourgogne, il s'épanouit sur les pentes fraîches, entre fougères et rochers.
  • La salamandre tachetée : animal emblématique, repérée jusque dans les fontaines des villages, elle apprécie l’humidité constante de ces vallées.
  • Le pic noir (Dryocopus martius) : il trouve refuge dans les hêtraies-sapinières qui bordent les fonds de vallons, où les vieux arbres abondent encore parfois.

Cette mosaïque forestière abrite aussi une flore relicte du dernier âge glaciaire, notamment la canneberge (Vaccinium oxycoccos), qui peuple certaines zones tourbeuses en aval du lac, vestige d’un climat autrefois boréal (source : Parc naturel régional du Morvan, Inventaire de la biodiversité).

Habitat et économie, une adaptation aux pentes

La vie dans ces vallons encaissés n’avait rien d’aisé autrefois. Les fermes, pour l’essentiel, évitent les fonds humides au profit des replats ou des légères éminences. Curiosité : à Montsauche et ses alentours, les maisons se regroupent souvent sur les crêtes ou les versants bien exposés, ce que relève l'abbé Baudiau (monographie du Morvan, 1865). Cependant, certains hameaux se sont nichés au débouché de combes, profitant d’une source ou d’un moulin. Le moulin de Pannecière-sur-Dragne au XIX siècle, par exemple, exploitait l’énergie tranquille du cours d'eau, favorisant la meunerie et la scierie, sans jamais dompter tout à fait les crues soudaines du printemps (source : Archives Départementales de la Nièvre, série S).

  • La lande et les pacages : Sur les versants plus secs, s’étendaient les landes à callune, maigres mais précieuses pour le pâturage des moutons. Leur entretien par l’écobuage était régulier jusqu’au milieu du XX siècle. Aujourd’hui, ces landes régressent mais subsistent près de Settons et du Boulon.

Enfin, certains vallons ont hébergé des haies vives impressionnantes, véritables corridors écologiques : les « murgers » – ces murs de pierres sèches – les séparaient, témoignant d’un savoir-faire qui perdure, au moins à titre patrimonial.

Lieux de passage, axes cachés et histoires de contrebandiers

Parce qu’ils sont difficiles à franchir, ces vallons ont toujours été vécus comme des limites, mais aussi comme des axes cachés. Les chemins anciens, parfois bordés de bornes de granit ou d’ornières profondes sur les berges sableuses, servaient aux muletiers comme aux contrebandiers. On en retrouve l’évocation dans les « chroniques montsauchées » publiées entre 1937 et 1941 dans le Courrier du Morvan.

  • Les drailles forestières : sentiers de transhumance, ils relient les sorts de Montsauche à ceux d’Ouroux ou de Planchez, et suivent précisément la ligne des crêtes pour éviter les passages submergés du fond des combes.
  • Le pont de la Dragne : point de passage devenu stratégique, notamment sous l’Occupation, où la résistance locale bénéficiait de la vigilance naturelle de ces recoins pour organiser leurs actions (source : Musée de la Résistance en Morvan).

Des légendes circulent encore sur ces vallons, lieux de disparitions mystérieuses ou de sabbats, où la "roi de la fée Bertille" hanterait certains soirs d’automne les brumes du moulin du Baye. Petits récits qui ancrent profondément la mémoire locale.

Un patrimoine écologique et culturel menacé ?

Si le paysage a l’allure de l’immuable, il évolue. Depuis les années 1980, l’exode rural et l’abandon des parcours ont favorisé la montée des forêts, parfois plantées de résineux, modifiant la lumière, la faune, la flore, et donc les équilibres naturels spécifiques des vallons encaissés (source : INSEE, étude sur la démographie rurale du canton de Montsauche, 2019).

Le fragile équilibre hydraulique est d'ailleurs menacé par le changement climatique, accentuant la variabilité des crues (Dragne en décembre 2019, débit multiplié par 6 selon Vigicrues), tandis que l’extension de la sylviculture mécanisée grignote certaines forêts anciennes. Pourtant, des associations locales s’investissent pour recenser mares, haies, murgers – signes que l’enjeu de la préservation est bien compris. Citons le récent programme participatif du Parc du Morvan, qui encourage la restauration des haies bocagères entre Montsauche et Gien-sur-Cure.

Ces vallons, porteurs d’une identité inimitable

Les vallons encaissés de Montsauche ne sont pas seulement des dépressions géographiques. Ils dessinent un espace de transitions successives, de passages secrets, de cohabitation entre nature sauvage et vie rurale. On y lit les sédiments du temps autant que le souffle des évolutions contemporaines. Parcourir la vallée de la Dragne au petit matin, c’est trouver la trace d’anciens lavoirs envahis de mousse, croiser un renard ou une gélinotte, sentir que le Morvan, là, raconte autre chose que la régularité apaisante de ses lacs ou la quiétude de ses forêts domaniales. C’est, pour qui prend la peine de lever les yeux, un paysage tout en retenue, singulier dans ses replis, humblement spectaculaire.

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