Au fil de l’eau : rivières et étangs qui dessinent le Nivernais Morvan

Un pays de sources, de rivières et d’étangs

Le Nivernais Morvan, si souvent évoqué comme un pays de forêts et de collines, est avant tout une terre d’eaux. Ses paysages, modelés depuis des millénaires par l’action discrète mais persistante des rivières et la présence insoupçonnée d’étangs, témoignent d’une identité où l’humide et le vivant sont indissociables des traditions, de l’histoire et de l’économie locale. Entre source et confluence, chaque parcelle du territoire porte la marque de l’eau – qu’elle soit vive, dormante, légendaire ou domestiquée.

L’héritage fluvial : les grandes rivières du Nivernais Morvan

La Loire, “dernière rivière sauvage d’Europe”

Impossible d’aborder le sujet sans commencer par la Loire, dont les méandres cernent le sud et l’ouest du Nivernais comme un fil d’argent. Classée au patrimoine mondial de l’UNESCO pour sa biodiversité unique (UNESCO), la Loire, sur près de 70 km en Nièvre, nourrit les terres du sud nivernais et façonne villes et villages : Nevers, La Charité-sur-Loire, Decize… Elle fut durant des siècles une artère commerciale majeure, animant batellerie, échanges et industries, avant que le rail n’y mette un terme. Aujourd’hui, sa dynamique fluviale subsiste, notamment dans ses zones de « bras morts » et ses grèves, refuges précieux pour les oiseaux migrateurs comme le balbuzard pêcheur.

L’Yonne : artère du Morvan, du granit au bassin parisien

Si la Loire borde le Nivernais, l’Yonne, elle, le traverse et l’irrigue de sa longue histoire. Prenant sa source sur le Mont Préneley (855 m), à 50 km à l’ouest d’Autun, l’Yonne s’étend sur 292 km et fut le théâtre, dès le XVIII siècle, du célèbre flottage du bois vers Paris (Parc Naturel Régional du Morvan). Ce flottage, nécessitant barrages, rigoles et réservoirs, a profondément modelé le territoire ; nombre de « rivières domaniales » du Morvan sont issues de cette histoire. Neufchâteau, Corbigny, Clamecy sont autant de bourgs marqués par l’eau vive, la scierie, la pêche et la mémoire forestière.

L’Aron, la Cure, la Nièvre : le chapelet des affluents

  • L’Aron (104 km) relie l’Étang de Vaux à la Loire, traversant la vallée agricole du sud nivernais. Canal de jonction entre Loire et Yonne, il fait partie du célèbre Canal du Nivernais, vaste œuvre de génie civil du XIX siècle.
  • La Cure (113 km), rivière “sauvage” du Morvan, traverse le Parc Naturel, arrose Quarré-les-Tombes puis serpente dans les vallées abruptes du nord avant d’aller grossir l’Yonne à Cravant.
  • La Nièvre (36 km) donne son nom au département, s’écoulant paisiblement de Champlemy à la Loire à Nevers, mais ses crues étaient autrefois redoutées : la grande inondation de 1875 marqua durablement les mémoires.

Lac, étang, réservoir : une géographie de l’eau domestiquée

Les lacs du Morvan : Settons, Pannecière, Chaumeçon

  • Le lac des Settons, “la petite mer du Morvan” (360 ha), fut créé en 1861 pour réguler le flottage. Aujourd’hui encore, son barrage de 20 m est une prouesse technique (voir IGN, DREAL Bourgogne). Il alimente la Cure et attire pêcheurs, randonneurs, naturalistes.
  • Le lac de Pannecière, le plus vaste du Morvan (520 ha pour 80 millions de m), est le principal réservoir du bassin Seine-Yonne, mis en eau en 1949. Véritable havre d’oiseaux et de rivières, il maintient l’étiage de l’Yonne jusqu’à Paris, tout en abritant une faune rare (balbuzard, milan noir).
  • Le lac de Chaumeçon (135 ha), discret et encaissé, est apprécié pour la qualité de ses eaux et ses plages sauvages.

Ces trois grands lacs sont la trace la plus visible de l’aménagement des eaux du Morvan pour répondre aux besoins de la batellerie, du flottage, puis de l’approvisionnement en eau potable d’une vaste région, jusqu’à la capitale.

La mosaïque des étangs : usage, biodiversité, traditions

Le Nivernais Morvan compte plusieurs centaines d’étangs, la plupart de taille modeste (1 à 20 ha), mais dont le rôle fut déterminant pour l’économie rurale et la biodiversité locale (Tourisme Morvan). Ces plans d’eau, parfois médiévaux, servaient à :

  • L’irrigation des prés et cultures
  • L’élevage du poisson (carpes, brochets, tanches) – nombreuses pêcheries anciennes
  • La regulation des crues et le soutien à la navigation sur les rivières
  • L’alimentation en eau de moulins (on en comptait plus de 300 au XIX siècle dans la région, selon la carte de Cassini)

De nombreux étangs ont été entretenus par les monastères (La Pierre-qui-Vire, l’abbaye de Corbigny) ou les domaines nobles, souvent à la limite des forêts. On se souvient de l’étang Saint-Agnan, propriété de l’abbaye de Flavigny jusqu’à la Révolution.

Rivières méconnues, eaux “noires” et légendes

Certaines rivières, plus modestes, gardent une place à part dans le cœur des habitants, voire dans les contes et tourments locaux. La Dragne, étroite, sinueuse et froide comme le soulignent les anciens, traverse Roussillon-en-Morvan, là où la tradition rapporte qu’autrefois, “on ne traversait ces eaux qu’en tremblant les soirs de brume”.

  • La Canche, au nord du Morvan, prend ses sources dans les landes de Montsauche. On la disait “aux eaux noires et jamais malades”, réputée pour ses truites insaisissables.
  • L’Alène, affluent abrupt de la Loire, donne son nom à la mystérieuse Vallée de l’Alène, qui sépare le Bazois du sud nivernais.

De nombreuses fontaines et « sources guérisseuses » jalonnent les forêts. La source Salée de Saint-Parize-le-Châtel, utilisée depuis les Celtes, fut exploitée pour ses sels minéraux jusque dans les années 1950 (voir archives départementales de la Nièvre).

L’eau, enjeu du XXI siècle : irrigation, tourisme, gestion et menaces

Si l’eau demeure centrale dans l’imaginaire et la vie locale, elle fait face à de nouveaux défis : croissance du tourisme (près de 500 000 visiteurs par an sur les lacs du Morvan – Département de la Nièvre), sécheresses répétées, baisse du débit des sources estivales et conflits d’usages (hydroélectricité, prélèvements agricoles). L’assèchement progressif de certains petits étangs, la fermeture de dizaines de moulins après 1945, ont profondément modifié la carte des eaux du Nivernais.

Pour y faire face, de nombreux projets patrimoniaux et environnementaux sont nés ces dernières années : restauration de zones humides dans la vallée de la Cure, sensibilisation à la gestion de l’eau et recensement des étangs via l’association “Étangs du Morvan” (plus de 250 recensés en 2022), animation de sentiers pédagogiques autour des réservoirs.

Des paysages liquides, une identité durable

Du tumulte de la Loire aux brumes sur l’étang de Saint-Agnan, des vasques granitiques de l’Yonne aux marais de l’Aron, le Nivernais Morvan ne serait pas ce qu’il est sans la multitude de ses eaux. Celles-ci, tour à tour nourricières, domptées, sauvages ou légendaires, façonnent autant le regard des visiteurs que la mémoire des habitants, et c’est peut-être là qu’il faut chercher la vraie cohérence de ces paysages : dans cette persistance d’un lien entre l’homme, la forêt… et les eaux qui en sont le plus secret vecteur.

Pour aller plus loin : consulter les cartes anciennes de Cassini ou l’Atlas hydrogéographique de Bourgogne (DREAL Bourgogne-Franche-Comté), les récits de “bateliers de Loire” (éd. Bleu autour, 2003) ou tout simplement prendre le temps de marcher au bord d’une rivière du Pays Nivernais Morvan – là où le silence se charge du murmure de l’eau et de l’histoire.

Les archives

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