Reliefs et paysages du Pays Nivernais Morvan : diversité, histoire et identité d’un territoire singulier

Aux origines du Morvan : un massif ancien sculpté par le temps

Lorsqu’on arpente les chemins du Morvan, on est frappé par le contraste entre la douceur de ses collines et la puissance tranquille de ses crêtes. Ce massif appartient à la grande famille des montagnes anciennes françaises, à l’instar du Massif armoricain ou du Massif central, dont il constitue l’un des prolongements nord-orientaux. L’origine du Morvan remonte au Primaire, il y a près de 330 millions d’années, lors de l’orogenèse hercynienne, épisode majeur qui vit s’affronter et se façonner d’immenses ensembles montagneux (source : BRGM).

Mais le Morvan, contrairement aux Alpes ou aux Pyrénées, a été poli par les millénaires : l’érosion a dompté ses pics jadis acérés, donnant naissance à des sommets arrondis et des pentes souvent praticables, comme en témoignent le Haut-Folin (901 m), le mont Préneley (855 m) ou le Mont Beuvray (821 m). Les versants sont tapissés de forêts denses, autrefois véritables garde-manger pour la flotte de la Marine royale, aujourd’hui havres de biodiversité et de mémoire. Cette physionomie spécifique explique la simplicité trompeuse de son relief, à la fois accessible et mystérieux, refuge des légendes et des résistances.

Les vallées nivernaises : artères naturelles et structuration du territoire

Le Nivernais, territoire de transition adossé au Morvan, s’articule autour de vallées structurantes qui organisent la vie des habitants depuis des siècles. La Loire, principal collecteur de la région, sculpte une large plaine fertile d’est en ouest, drainant de nombreux affluents tels que l’Yonne, la Nièvre ou l'Aron. Ces vallées, dont les pentes douces invitent tantôt au pâturage, tantôt à la culture céréalière, sont jalonnées de bourgs, de châteaux et de forêts galeries.

  • L’Yonne: axe nord-sud vital pour le commerce fluvial et les passages entre Morvan et Parisien
  • L’Aron et la Nièvre: souvent encaissés, ils offrent routes naturelles et sites défensifs, à l’origine du développement de places fortes (Clamecy, Decize)
  • Le Canal du Nivernais: ouvrage d’art du XIXᵉ, reliant l’Yonne et la Loire, a fortement structuré la région et modelé ses ripisylves

D’une vallée à l’autre, l’occupation du sol change : ici, des prairies humides conservant la mémoire des crues ; là, des coteaux calcaires propices à la vigne (autour de Tannay ou Pouilly). Les tracés tortueux des rivières témoignent de la complexité géologique du sous-sol nivernais, mosaïque calcaire, granitique ou marneuse – chaque vallée y imprimant son identité propre.

Les collines du Bazois : héritage géologique d’une mer disparue

Au sud-est du Nivernais, le Bazois présente une topographie particulière : successions de collines basses (250-350 m), modelées par de longues pentes que fragmentent aujourd’hui bocages et étendues céréalières. L’origine de ce relief tient à la diversité géologique locale : on y trouve des assises sédimentaires issues du Jurassique, recouvrant partiellement le socle hercynien déjà évoqué.

Il y a environ 160 millions d’années, une mer chaude inondait alors les lieux, déposant marne, calcaires et argiles. C’est ce substrat qui, en altérant plus lentement que les quartzites morvandiaux, a donné naissance aux ondulations caractéristiques du Bazois. Les géologues (source : Carte géologique du Bazois, BRGM) y relèvent des traces de forêts fossiles et de coquillages, offrant un fascinant palimpseste du passé marin de la région.

Bocages de Corbigny : vignes, haies et le goût des paysages mixtes

Autour de Corbigny, le paysage se distingue par la présence dense de bocages : ce sont ces mosaïques de prés, champs, haies vives, mares et vieux arbres, nés de la petite exploitation paysanne et des communaux. On recense environ 92 % du territoire en surfaces mixtes bocagères dans cette partie du Morvan (source : Pays Nivernais Morvan, Observatoire Paysager).

  • Les haies jouent un rôle fondamental : coupe-vent, habitat pour la biodiversité (hérissons, chouettes, papillons), corridors écologiques
  • Les mares bocagères : refuges pour tritons, rainettes, zones d’abreuvement et de fertilisation naturelle
  • Les alignements de vieux chênes, témoins de l’ancienne voirie et des limites seigneuriales ou monastiques (l’abbaye de Corbigny laissant son empreinte sur l’ordonnancement du paysage)

Ce type de paysage exprime une identité locale forte, qui se lit aussi dans le bâti : bas de pierre, toits bruns, murets moussus et granges de dimension modeste. Loin des grands remembrements de l’Ouest français, on cultive ici l’attachement au terrain et la préservation du morcellement, gage de diversité et de résilience.

Les plateaux granitiques du Haut-Morvan : contraintes, usages et mutations

Dans le Haut-Morvan, les plateaux granitiques – Haut-Folin, secteur d’Anost, Mont-Preneley – couvrent la plus grande part du Parc naturel régional, témoignant d’une histoire géologique puissante : ici, c’est le granite, issu du refroidissement lent des masses magmatiques hercyniennes, qui façonne une topographie plus rude et des sols abrasifs, acides, généralement peu fertiles.

  • Économie forestière dominante depuis le XIXᵉ siècle (douglas, pin sylvestre, feuillus originels)
  • Des pâturages sommaires sur les terres les plus fines ; l’élevage extensif, parfois couplé à la transhumance ovine jusqu’au début du XXᵉ siècle
  • Présence de chaos granitiques, surprenants amoncellements rocheux souvent liés aux croyances locales (pierres de légende autour de Saint-Léger-sous-Beuvray)

L’occupation humaine, marquée par la pauvreté des terres et l’isolement des hameaux, a longtemps suivi des schémas collectifs (communs forestiers, pâtures partagées). Aujourd’hui, le défi est d’allier économie forestière et préservation de la biodiversité, le granite fixant des milieux rares (landes sèches, tourbières relictuelles, espèces endémiques comme le crapaud accoucheur).

Le Mont Beuvray : crêtes habitées, crêtes symboliques

Parmi les sommets du Morvan, le Mont Beuvray occupe une place à part : non seulement par son altitude (821 m), mais surtout par son histoire. La crête, creusée d’entailles boisées et de clairières, fut le site de la fameuse cité gauloise de Bibracte, capitale des Éduens, l’un des peuples les plus puissants de la Gaule (source : Bibracte).

  • Les crêtes offrent, depuis la terrasse de la source du Beuvray ou la Roche du Conseil, une lecture exceptionnelle de la structure du paysage : alternance de vallées profondes et de plateaux bosselés
  • Sites archéologiques majeurs, mais aussi lieux sacrés selon les traditions (arbres à loques, reste de cultes sylvestres)
  • “Au-dessus du Morvan, écrit Jules César, se dresse une montagne fort élevée…” (De Bello Gallico, VII, 55)

Aujourd’hui, la perception du paysage morvandiau est encore traversée de cette verticalité mystérieuse : du sommet, la vue porte à plus de 50 kilomètres par temps clair, jusqu’aux premiers contreforts du Charolais et du Bourbonnais. Les crêtes du Beuvray résument la force de l’enracinement territorial, une façon de “voir loin” — dans l’espace comme dans le temps.

Les vallons encaissés de Montsauche-les-Settons : microclimats et singularité

Autour de Montsauche-les-Settons, le relief se plisse : vallons encaissés, pentes parfois abruptes, petits plateaux suspendus… Cette topographie résulte de l’action séculaire de l’Yonne supérieure et de ses affluents, entre drains naturels et piégeages hydrographiques. Chaque vallon développe un microclimat propre, mêlant fraîcheur, brumes persistantes et expositions variées.

  • Répartition du châtaignier sur les adrets secs, du hêtre et de la fougère sur les ombrées
  • Petites fermes accrochées au rebord des plateaux, exploitant prairies humides et fonds de vallées
  • Réseau dense de sentiers et de “chemins creux”, souvent issus des anciennes transhumances et du passage saisonnier des mulets vers le lac des Settons

Le photographe Jean-Michel Sordello (Atlas des paysages – PNR Morvan) parle ici de “paysage intime”, qui s’ouvre soudain au détour d’un sentier sur un horizon de lacs ou de brume — évoquant la solitude des montagnards, mais aussi la convivialité des villages-rues (Moux-en-Morvan, Planchez).

Paysages agricoles du sud Nivernais : mutations et nouveaux équilibres

Dans le sud du Nivernais (secteur Luzy, Fours, Charrin), les grandes plaines agricoles côtoient les derniers reliefs du Morvan. Ici, le remembrement des terres, la mécanisation et le développement du maïs et du colza (après 1950) ont profondément remodelé les paysages, autrefois dominés par la polyculture et l’élevage laitier.

  • En 1970, la prairie permanente couvrait 68 % des exploitations ; elle est tombée à moins de 38 % en 2015 (source : Agreste Bourgogne-Franche-Comté, 2018).
  • Recul des haies, extension des grandes parcelles céréalières ; mais aussi retour de l’agroforesterie sur certains secteurs en réponse aux enjeux climatiques
  • Le bocage n’a pas totalement disparu : il garde une forte présence autour de certaines communes (Ternant, Saint-Hilaire-Fontaine), objets d’expérimentations pour la sauvegarde de la faune champêtre (busards, tritons crêtés)

La grande question reste celle de l’équilibre : comment préserver la mosaïque de milieux tout en assurant la viabilité économique ? Nombre d’agriculteurs et de communes innovent aujourd’hui à travers les circuits courts, les cultures biologiques et le maintien des races rustiques (Charolais, Limousines) adaptées aux sols argilo-calcaires locaux.

Lac des Settons : l’écrin du "tourisme vert" morvandiau

Rendez-vous emblématique du Morvan, le lac des Settons (implanté en 1861 pour le flottage du bois) déploie 366 hectares d’eau à 600 mètres d’altitude. Ici, le paysage est autant naturel que façonné : le lac a inondé des vallons, créé des prairies humides, marginalisé d’anciens hameaux et transformé l’économie locale.

  • Forêts mixtes occupant les versants, favorisées par les sols acides et l’humidité ambiante
  • Presque 400 000 visiteurs annuels (simulation Tourisme Nièvre 2019) ; développement maîtrisé de plages, sentiers, zones Natura 2000 pour la protection des libellules, loutres et pipits farlouses
  • Lieu d’inspiration d’Henri Vincenot et de nombreux écrivains voyageurs

Symbole du “tourisme vert” morvandiau, le lac conjugue qualité paysagère et accueil, tout en posant la question des usages partagés : baignade, pêche, navigation douce, préservation du patrimoine naturel et mise en valeur du bâti vernaculaire (la digue, maison du Flottage).

Panoramas du Signal d’Uchon : diversité et transitions vues d’en haut

Enfin, il suffit de grimper au Signal d’Uchon (681 m) pour saisir d’un seul coup d’œil l’extraordinaire diversité du Pays Nivernais Morvan : depuis ce sommet aux formes spectaculaires, le regard embrasse vers le nord les collines du Morvan, à l’ouest la plaine du Nivernais, au sud-est le Charolais et jusqu’à la ligne bleue des monts du Lyonnais par grand beau temps.

  • Les “rochers du Carnaval” et autres blocs du Signal forment un étonnant relief de tors (érosion granitique, phénomène rare en Bourgogne)
  • Le panorama met en évidence la transition brutale entre le socle granitique et les plateaux calcaires du Charolais
  • Le site fut décrit dès le XVIIIᵉ siècle dans les itinéraires savants (voir Itinéraire du comte de Buffon, 1775). Uchon, “Perle du Morvan”, devient le symbole du regard pluriel posé sur le territoire : agricole, forestier, minéral, humain

C’est ici, face au vent, qu’on prend la mesure d’un Pays Nivernais Morvan à la fois ancien et en perpétuelle recomposition, fort de ses héritages géologiques, de ses paysages vivants et des projets qui l’animent au présent.

Les archives

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