Le Morvan, une vieille montagne aux sommets assagis : secrets de reliefs arrondis

Qu’est-ce qu’un massif ancien ? Regards sur les mots et la carte

Sur une carte géologique de France, le Morvan attire d’abord par sa position : curiosité granitique en Bourgogne, souvent comparée au Massif Central. Pourtant, il n’est pas réductible à un simple prolongement de celui-ci. Dans la langue des géographes, on nomme massif ancien un ensemble montagneux formé de roches très vieilles, souvent érodées, aux pentes adoucies par le temps. Ce sont des reliefs modelés par des cycles de soulèvement, d’enfouissement et de surrection, suivis d’une longue érosion qui leur a donné leur aspect « usé ».

Le Morvan s’inscrit, avec l’Armorique, les Vosges et le Massif armoricain, dans cette famille des massifs anciens français. Mais ici, tout est affaire de nuances : c’est à la fois un maillon du socle français le plus ancien, mais aussi, d’un point de vue régional, une exception géologique en Bourgogne, car il tranche avec les douces collines calcaires voisines.

Le Morvan à l’échelle du temps géologique : 500 millions d’années de transformations

Les roches du Morvan remontent principalement à l’ère primaire, au Paléozoïque, il y a entre 520 et 330 millions d’années (GeoBourgogne). Les géologues y distinguent trois groupes majeurs :

  • Le granit, omniprésent, au cœur et sur les hauteurs du massif (monts du Morvan, Haut-Folin…)
  • Les schistes et gneiss en périphérie, roches métamorphiques issues d’anciens dépôts sédimentaires comprimés
  • Quelques filons de roches volcaniques et filoniennes, témoins d’épisodes magmatiques anciens

L’histoire du Morvan témoigne de deux grandes phases :

  1. La surrection hercynienne (ou varisque) : il y a environ 340 à 300 millions d’années, l’Europe n’était encore qu’un puzzle de continents. Le choc provoqué par la collision entre plaques a donné naissance à une immense chaîne de montagnes qui allait du Massif Central jusqu’aux Ardennes. Le Morvan, alors, culminait sans doute à des altitudes comparables à nos actuels Alpes ou Pyrénées !
  2. L’érosion et la formation des reliefs arrondis : au fil de dizaines de millions d’années, la mer et les alluvions, le gel et la pluie, ont raboté peu à peu cette montagne. Peu d’endroits illustrent mieux la patience de la nature que ces sommets émoussés que l’on voit aujourd’hui, à la silhouette douce : Haut-Folin (901 m, point culminant du Morvan), Mont Beuvray (821 m), Mont Préneley…

À ce rythme, on comprend pourquoi certains surnomment le Morvan la « vieille montagne au cœur tendre ».

Pourquoi le Morvan n’a pas de pics ? Mécanismes d’érosion et spécificités locales

Contrairement aux massifs jeunes (Alpes, Pyrénées), où la tectonique est encore active, le Morvan est un territoire de reliefs mûrs :

  • Absence de failles très actives ou récentes, donc pas de nouveaux soulèvements qui produiraient des sommets pointus.
  • Dominance de processus d'érosion : la pluie, le gel/dégel, le ruissellement, la végétation ont peu à peu fait disparaître les arêtes, laissant des crêtes larges, des sommets apaisés.
  • Nature des roches : le granite se délite en boules (phénomène d’arénisation), ce qui accentue l’aspect arrondi des reliefs.

L’anecdote locale rapporte que les anciens Charolais, passant du plateau calcaire aux premiers contreforts du Morvan, « remarquent aussitôt des collines râblées, rondes, comme des montagnes fatiguées de se dresser ». Cette impression visuelle est celle qui marque quiconque arrive depuis l’Avallonnais ou la plaine de l’Yonne : pas de murs, mais des bosses pleines, recouvertes de forêts.

L’arénisation, ce phénomène où le granite se décompose lentement en sable grossier et grosses boules, explique la forme particulière de certains sommets, mais aussi le sol sableux caractéristique du Morvan, précieux pour les tailleurs de pierre et les sablières.

Le Morvan, entre bocage, forêts et vallées : formes du paysage d’un massif usé

Le visage arrondi du Morvan se devine partout :

  • Des vallées encaissées (la Cure, le Ternin, l’Yonne) séparant des dômes boisés
  • Des posées de vastes forêts (celle du Haut Folin, du Breuil) qui recouvrent les hauts-plateaux
  • Des bourgades et hameaux perchés sur des buttes : Montsauche, Lormes, Saint-Léger-Vauban

Le bocage s’adapte à cette topographie : les haies suivent les courbes des collines, délimitant pâtures et champs, vestige du “parcellaire morvandiau” qui remonte à l’Ancien Régime.

Un des documents les plus précieux pour visualiser ces paysages ? La carte de Cassini (XVIII siècle), où le Morvan apparaît déjà comme “un groupe de monts fort arrondis, boisés jusqu’au faîte” (selon les légendes manuscrites). Les mots de l’abbé Baudiau, dans sa célèbre “Statistique du Morvan” (1854), n’ont rien perdu de leur justesse : “Le Morvan ne s’élève point en pics acérés, mais déploie de longues ondulations plantées de sapins sombres.”

Anecdotes de terrain et légendes sur la douceur des sommets

Des histoires locales abondent pour expliquer ces montagnes aux courbes apaisées : à Quarré-les-Tombes, on raconte que les fées du Morvan soulevaient d’énormes blocs de granit pour “adoucir les crêtes” et que “les géants las de la guerre écrasaient les cimes de leurs mains lourdes” – une belle façon de dire que le temps, ici, a fait son œuvre.

La mémoire collective garde la trace, aussi, de la “montagne-mère” : légende selon laquelle les sommets ronds sont des abris pour les orages, ou de modestes protecteurs pour les villages qui se nichent à leur pied.

De nombreux randonneurs remarquent que “du sommet, on voit loin sans jamais être dominant : l’horizon flotte sur les plaines, les courbes invitent à la promenade, pas à la conquête”. Cette dimension humaine du paysage est un trait essentiel du Morvan.

Données chiffrées et particularités géomorphologiques du Morvan

  • Le point culminant, le Haut-Folin, atteint 901 m, suivi du Mont Preneley à 855 m et du Mont Beuvray à 821 m (IGN).
  • L’altitude moyenne du massif oscille entre 400 m et 700 m, ce qui en fait un “moyen massif”.
  • L’épaisseur de la croûte granitique y dépasse parfois 20 km (BRGM), témoignant de racines profondes forgées sous la pression hercynienne.
  • Les formations de granite affleurent sur près de deux tiers de la superficie du Parc naturel régional du Morvan.
  • Le Morvan « court » sur une cinquantaine de kilomètres du nord au sud, pour environ 25 à 30 km d’ouest en est (Parc du Morvan).
  • Des sommets culminant à moins de 1000 m, mais d’un relief local accidenté, font parfois gagner ou perdre 200 m d’altitude sur quelques kilomètres : une spécificité qui explique aussi la réputation du Morvan comme “montagne à vaches rieuses”, propice à un élevage extensif.

Paysage, biodiversité et héritages géologiques : une invitation à la lenteur

Ces reliefs arrondis ne sont pas qu’un fait géologique ; ils façonnent la biodiversité (lande à bruyère, prairies humides, hêtraies-sapinières), le mode de vie (élevage, sylviculture) et le rapport à la terre. Les scientifiques parlent de “massif d’interface”, car le Morvan fait le lien entre des mondes : collines de Puisaye, plaines de la Bresse, plateaux du Massif Central.

La douceur des formes, héritée de millions d’années de métamorphoses, impose un autre rythme : celui de la marche. On n’escalade pas le Morvan ; on s’y promène, on y prend le temps d’observer une lande, de surprendre une salamandre dans un ruisseau, de croiser les chênes tordus par le vent du plateau.

Pour aller plus loin : sources, cartes et pistes de découverte

  • Carthothèque du BRGM : cartes géologiques du Morvan et ressources pour comprendre la formation du massif.
  • Parc naturel régional du Morvan : guides et expositions sur la nature et la géologie locale (parcdumorvan.org).
  • “Statistique du Morvan”, abbé Baudiau (1854), véritable mine sur la vie et le paysage morvandiaux au XIX siècle.
  • Enquête orale sur les légendes et récits du massif : collectage par l’Écomusée du Morvan.
  • GéoBourgogne : portail cartographique en ligne et articles sur la naissance géologique du Morvan (geobourgogne.fr).

Le Morvan n’est donc pas un “Alpe miniature”, ni un simple renflement du Massif Central : c’est un monument de lenteur, dont la forme arrondie raconte à qui veut l’entendre la plus longue des histoires, celle du temps profond. L’arpenter, c’est lire une page du grand livre de la Terre, à hauteur d’homme et de haies, entre brume, granits et horizons

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