Sous la surface : comprendre la naissance des collines du Bazois

Entre Morvan et Nivernais, un paysage de collines énigmatiques

Lorsque l’on longe le Canal du Nivernais, que l’on gravit les sentiers d’Alluy, de Bazolles à Châtillon-en-Bazois, il se dessine dans le paysage une série de collines douces, d’allures modestes mais bien distinctes du plateau morvandiau à l’ouest et des grandes plaines nivernaises à l’est. Ces collines du Bazois forment une transition géographique mais aussi géologique : elles sont le produit d’une histoire de plusieurs centaines de millions d’années, écrite dans le secret des roches, puis révélée par l’érosion et le temps.

Le Bazois, qui s’étend grosso modo entre le cours de l’Aron, le Canal du Nivernais et les lisières du Morvan, intrigue par la douceur de ses reliefs. Pourquoi ces ondulations spécifiques ? D’où proviennent ces mottes, ces monticules, ce territoire morcelé ? Comprendre l’origine géologique du Bazois, c’est suivre les bouleversements titanesques qui ont façonné la Bourgogne profonde et le Morvan, depuis l’aube de l’ère primaire, jusqu’aux débuts de notre ère.

Des roches anciennes, les premières pages du Bazois

L’histoire des collines du Bazois s’inscrit dans la grande géologie française : elle commence au Paléozoïque, il y a environ 500 millions d’années. Les premiers terrains visibles ici sont des schistes et gneiss issus de métamorphismes profonds et de sédimentations anciennes. Ces formations, parfois datées de l'Ordovicien ou du Dévonien, racontent un temps où la région était sous l’océan, recevant les sédiments venus d’antiques continents pré-européens (ENS Géosciences, Géologie du socle).

  • On rencontre ainsi, autour de Mont-et-Marré, des micaschistes, roches brillantes, témoins d’anciennes compressions et chaleurs exceptionnelles.
  • Les granites affleurent également, hérités des vastes batailles tectoniques du Massif Central, et visibles dans les murets ou les pierres des maisons locales.
  • Enfin, des ardoises, issues de la transformation de schistes argileux, jalonnent discrètement le sous-sol du Bazois.

Datées d’environ 400 à 300 millions d’années, ces roches précambriennes et primaires placent le Bazois dans la lignée des grandes chaînes hercyniennes, qui vont façonner plus tard le Massif Central.

Du soulèvement hercynien au modelé actuel : une histoire de montagnes disparues

Vers la fin du Carbonifère (entre –350 et –290 millions d’années), se produit un événement majeur : l’orogenèse hercynienne. Alors que plusieurs continents se frottent les uns aux autres, de puissantes pressions soulèvent d’immenses chaînes de montagnes, dont le Morvan constitue une excroissance nord-orientale.

À cette époque, il faut imaginer le secteur du Bazois en pleine effervescence géologique, dominé par des sommets aujourd’hui disparus, culminant très probablement à plus de 3000 mètres (selon les estimations sur le Massif Central, Géologie du Morvan).

  1. Compression tectonique, fusion et récristallisation donnent naissance au granite typique du Morvan mais aussi du Bazois occidental.
  2. Par endroits, la lente surrection laisse également émerger les schistes, témoins du passé marin du secteur.

La grande chaîne hercynienne va ensuite s’éroder. Ce sera un "continent à barbes" selon la jolie expression du géologue Pierre Pruvost (1959), car les fleuves et rivières vont raboter, transporter et déposer d’immenses quantités de sédiments, permettant à un nouveau paysage de naître.

Érosion, dépôts et fossiles : le long travail des mers du Jurassique et du Crétacé

Après la disparition progressive des reliefs hercyniens, le secteur du Bazois entre dans une ère d’apaisement relatif : du Mésozoïque (ère secondaire) à l’Éocène (ère tertiaire), la région connaît plusieurs phases d’immersion sous des mers peu profondes, puis de retrait.

  • Au Jurassique (-200 à -145 millions d’années), la France est partagée entre des terres émergées et une mer peu profonde : l’actuel Bazois se situe exactement à la charnière. De nombreux dépôts calcaires et marneux s’accumulent, marquant ainsi la base de certaines collines.
    • Ces calcaires, parfois fossilifères, sont visibles dans certains affleurements près de Cercy-la-Tour et Châtillon-en-Bazois.
  • Au Crétacé (-145 à -66 millions d’années), de nouveaux apports sédimentaires, mêlés à des argiles, forment la couronne et les intercalations qui “adouciront” les reliefs.

Plus étonnant : dans quelques gravières anciennes du Bazois et jusqu’aux côtes de l’Aron, ont été retrouvés des fossiles marins, ammonites, bélemnites, bivalves, témoignant de ces mers disparues (voir Fossiles de Bourgogne).

Lisser les collines : l’érosion quaternaire et l’action du climat

Les dernières grandes mutations du relief du Bazois datent du Quaternaire, des deux derniers millions d’années. Cette époque, marquée par les alternances de périodes glaciaires et interglaciaires, va transformer les paysages hérités des ères anciennes.

  • Le gel et le dégel fragmentent les pierres, accentuant la formation des mottes et collines rondes.
  • Les précipitations drainent les sédiments vers l’Aron, la Dragne, puis la Loire ou l’Yonne, créant des vallons encaissés et favorisant la formation de poches argileuses dans les fonds humides.
  • Une couverture de limons, héritée des vents froids et secs, vient lisser les derniers reliefs et enrichir le sol des prairies.

Le Bazois prend alors son aspect actuel : une série de collines peu marquées, séparées par des fonds de vallées, où alternent granites, schistes et marnes limoneuses. Cette douceur contribue à l’installation précoce du bocage, à la richesse agricole et à la présence de curieux étangs, souvent issus d’anciennes cuvettes argileuses.

Cartes anciennes, toponymie et mémoire des pierres

Les géographes du siècle des Lumières parlaient déjà du “païs hault et bas” pour désigner la zone du Bazois (Carte de Cassini, 18e siècle). La carte de 1750 figure de nombreux “mottes”, “buttes”, “terres blanches”, signes d’une mémoire toponymique fidèle à la géologie.

  • Toponymie : "La Motte", "Le Mont", "Les Roches", "Les Terres Froides" jalonnent les villages du Bazois, souvent en lien direct avec la nature du sous-sol.
  • Le bâti utilise la pierre locale : granite ou schiste pour les murs, calcaire pour certains linteaux. Chaque village a sa “signature géologique”.

Un témoignage emblématique est la butte de Loudun, au sud-est de Châtillon-en-Bazois, ancien oppidum gaulois, perchée sur une dalle micaschisteuse. Elle domine la vallée de l’Aron comme un livre ouvert sur les temps anciens.

Le Bazois, laboratoire à ciel ouvert

Aujourd’hui encore, la géologie du Bazois continue d’attirer géologues amateurs, chasseurs de fossiles, mais aussi agronomes. Car la diversité discrète de ses sols — entre acidité granitique, argiles et cailloutis calcaires — conditionne les cultures, la vigne (présente jusqu’au XIXe siècle), l’élevage, et même les essences forestières. Des réseaux de mares, d’étangs et de zones humides persistent ainsi dans les fonds de vallon, où l’argile affleure encore.

Époque géologique Formation dominante Impact sur le paysage
Paléozoïque (-500 à -290 Ma) Schistes, gneiss, granite Socle dur, collines, mottes
Mésozoïque (-200 à -66 Ma) Calcaires, marnes Douceur des pentes, fossiles
Quaternaire (-2,5 Ma à aujourd’hui) Limon, argile Vallons, fonds humides, bocage

Perspectives : lire le futur dans les pierres

Les collines du Bazois taisent rarement la parole des pierres. Comprendre leur origine géologique, c’est lire la longue trace de bouleversements anciens, mesurer ce que le lent travail du temps a laissé, et saisir pourquoi paysages, pratiques agricoles et légendes villageoises continuent de dialoguer avec la géologie.

Aujourd’hui, alors que l’on redécouvre l’importance des sols, de la préservation des ressources en eau et de la mémoire du paysage, les modestes collines du Bazois se rappellent à nous comme un livre minéral, à la fois simple d’apparence et complexe dans leur héritage. L’histoire continue de s’y écrire, au fil des rivières, des carrières à ciel ouvert, et dans les allées ombragées des sentiers nivernais.

Pour approfondir : La géologie du Bazois (Géologie Morvan), IGN Forêt - analyse des sols, Géologie de la Nièvre (André Brosse, 1871).

Les archives

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