Explorer l’étang du Merle : un joyau méconnu du Morvan

Sous le miroir : de l’étang médiéval à la réserve de biodiversité

L’étang du Merle, lové à proximité de Crux-la-Ville, intrigue tout voyageur qui sillonne les sentiers bourguignons et morvandiaux. Bercé par le silence et la lumière des collines, il déroule ses 16 hectares de miroir paisible depuis le Moyen Âge, période à laquelle il fut aménagé pour les besoins de la pisciculture et de l’irrigation agricole. Il n’est pas rare, en feuilletant des cartes anciennes comme celles de Cassini (XVIII siècle), de retrouver l’empreinte de ces étangs dans la toponymie locale et dans les récits de l’économie rurale traditionnelle (É. Juillard, “Étangs du Nivernais”, Annales de Bourgogne, 1958).

Aujourd’hui, l’étang du Merle s’impose comme un conservatoire d’écosystèmes multiples, au croisement de l’eau et de la forêt, du bocage et des landes, offrant une mosaïque de milieux propices à une étonnante diversité d’espèces.

Des milieux imbriqués : l’étang, la roselière, la lande

  • L’eau libre et la zone de digue : L’étendue centrale accueille une vie aquatique foisonnante : nénuphars (Nymphaea alba), potamots, myriophylles et, sur les bordures, les joncs éclairs et iris des marais. Les rives sont ponctuées par quelques chênaies humides et, par endroits, la lande à myrtilles (Vaccinium myrtillus), déjà signalée dans les inventaires botaniques du XIX siècle.
  • Les roselières : Ces herbiers flottants et berges tapissées de phragmites (Phragmites australis) forment le cœur de la nurserie naturelle pour oiseaux et amphibiens. Selon un inventaire commandité par le Parc naturel régional du Morvan, on recense sept types d’habitats humides différents rien que sur l’étang du Merle (Atlas de la Biodiversité Communale, PNR Morvan, 2019).
  • La lande et le bocage environnant : Sur la frange sud, on trouve une lande sèche, vestige de l’exploitation pastorale, peuplée de genêts à balais et d’ajoncs. Cette zone sert de transition entre l’eau, la forêt et la tradition paysanne du Nivernais.

Une avifaune d’exception : le ballet des oiseaux du Merle

L’étang du Merle, reconnu ZNIEFF (Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique) depuis 1994, a la réputation d’attirer une multitude d’oiseaux, rares pour certains, emblématiques du bocage nivernais pour d’autres (INPN Muséum national d’Histoire naturelle).

  • Le blongios nain (Ixobrychus minutus) : Plus petit héron européen, il niche régulièrement dans les roselières du site. Difficile à observer, il signale sa présence par un cri grave en soirée, et symbolise la qualité écologique remarquable de l’étang. Moins de 200 couples estimés en France, selon la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO, 2022).
  • La rousserolle effarvatte : Petite fauvette au chant inlassable, elle pullule dans les roseaux dès la mi-mai. Elle illustre la vie saisonnière du site et témoigne de la continuité écologique indispensable à la migration et la reproduction des passereaux.
  • Le grèbe castagneux et le grèbe huppé : Ces plongeurs discrets élèvent chaque année leurs couvées, élaborant des radeaux végétaux dans la roselière. Leur présence souligne la tranquillité relative du plan d’eau.
  • Le martin-pêcheur : Avec son éclair bleu, il guette les petits poissons depuis les branches basses, emblème du Morvan aquatique.
  • En migration : L’étang sert d’escale à divers limicoles et à des anatidés comme le canard souchet ou le fuligule milouin. Depuis les années 2010, on observe même des cigognes blanches lors de certains passages printaniers.

Un relevé de l’ONCFS (Office national de la chasse et de la faune sauvage) fait état de près de 80 espèces différentes recensées sur site ou dans l’immédiate périphérie (ONCFS, rapport 2018).

Mammifères semi-aquatiques et secrets nocturnes

  • La loutre d’Europe : Après avoir quasiment disparu du Morvan à la fin du XX siècle, la loutre fait désormais un lent retour. L’étang du Merle est depuis 2015 le théâtre de passages réguliers, comme l’attestent les traces et excréments relevés sur les berges (source : SFEPM - Mammifères de Bourgogne).
  • Le castor d’Europe : Réintroduit en Bourgogne au début des années 2000, il a été observé sporadiquement à proximité, bien que sa présence stable reste à confirmer.
  • Histoires de chauves-souris : Les soirées de juin voient voler la pipistrelle commune et la sérotine. Lors des inventaires de terrain menés par des naturalistes locaux, on compte pas moins de cinq espèces survolant la zone humide, profitant du foisonnement d’insectes aquatiques.

Plus d’un habitant du village garde en mémoire des veillées au bord de l’étang, guettant le passage furtif de la loutre ou l’éclair des chauves-souris – une tradition qui relie les époques.

La flore indicatrice du Morvan humide : orchidées, osmondes et mystères botaniques

  • Orchidées des marais : L’étang du Merle compte, sur ses marges et ses tuffières, une bonne population de la rare Orchis des marais (Anacamptis palustris), repérée en 2017 par le Conservatoire Botanique du Bassin Parisien, et quelques pieds de Dactylorhiza majalis, indicateurs de milieux peu perturbés (source : CBNBP, Atlas floristique).
  • Osmondes royales : Cette fougère préhistorique, haute parfois de 1,70 mètre, affectionne les exutoires de l’étang et se mêle au tapis d’iris jaunes. Elle figure parmi les espèces “à surveiller” de la liste rouge régionale.
  • Mousses et sphaignes : En marge des landes humides se développe une ceinture de mousses rares, dont la sphaigne de Magellan, caractéristique des milieux acides, base d’une tourbière relictuelle signalée dès 1973 (“Inventaire floristique du Morvan”, J.-P. Béguin).

Les anciens du pays se souviennent que l’étang a longtemps fourni matière à la pharmacopée paysanne : on utilisait jadis les tiges de calament pour aromatiser tisanes et liqueurs, et les racines d’épilobes étaient réputées désinfectantes.

Bienvenue chez les amphibiens et libellules

  • La grenouille agile et la rainette arboricole : Deux espèces emblématiques des abords, qui profitent autant des prairies inondées de printemps que de la quiétude des mares saisonnières. La grenouille agile est même devenue symbole local suite à la “nuit de la grenouille” organisée chaque mars depuis 2018 par l’association Natural’Morvan.
  • Le triton crêté : Espèce menacée au niveau européen, il a été observé à l’état larvaire dans les petits fossés de drainage de l’étang (source : Société Herpétologique de France).
  • Un ballet de libellules : Point fort du site, les odonates (libellules et demoiselles) y sont abondantes. On y recense, fin juin, la rare Cordulie à corps fin (Oxygastra curtisii) et la libellule déprimée, véritables bio-indicateurs de la qualité de l’eau (Inventaire Odonates, PNRM 2020).

Richesses historiques et liens au paysage

Derrière l’inventaire naturaliste, l’étang du Merle porte l’empreinte d’un long dialogue entre humains et nature. Lieu de pêche vivrière jusqu’aux années 1950, il a abrité pêcheurs de brochets et cueilleurs d’écrevisses (autrefois abondantes avant le déclin dû à la peste de l’écrevisse du XX siècle).

Selon la tradition orale, des étangs proches comptaient autrefois sur leurs berges des moulins à eau – vestige effacé aujourd’hui, mais qui structure l’organisation historique du paysage local. La dénomination “Merle”, souvent attribuée aux zones humides, rappelle aussi la présence de l’oiseau, mais certains érudits locaux évoquent un lien avec les anciennes unités de mesure du pays nivernais, ou même avec le surnom de certains hameaux riverains (G. Roux, “Le Morvan des étangs”, 1984).

Enjeux actuels : concilier protection et usages humains

Si l’étang du Merle brille par sa biodiversité, il n’échappe pas aux tensions modernes :

  • L’eutrophisation : Les apports excessifs en nutriments (phosphore, nitrates) venus de l’amont menacent l’équilibre fragile, provoquant des blooms d’algues et asphyxiant par endroits la faune aquatique. Le PNR Morvan a instauré, depuis 2021, un suivi régulier et des actions de gestion adaptées.
  • La pression touristique : Autre enjeu, la fréquentation estivale (pêche, pédalos, baignade) qui, mal contrôlée, peut effrayer les oiseaux nicheurs ou favoriser les espèces invasives comme le ragondin, observé sur quelques secteurs.
  • La gestion de l’eau : En période de sécheresse, les arrêtés préfectoraux visant à préserver l’eau amènent à des négociations entre pêcheurs, agriculteurs et associations naturalistes. Ce dialogue local a permis en 2023 d’éviter un assec complet, préservant les pontes d’amphibiens (Préfecture Nièvre, arrêtés 2023).

Dans le même temps, le site appartient à la dynamique “Trame verte et bleue” qui vise à relier ces pôles de nature entre eux, pour le plus grand bénéfice de la faune migratrice du Nivernais à l’Autunois.

Avenir du Merle : un laboratoire vivant pour la Nature et l’Homme

L’étang du Merle offre à celui qui prend le temps d’observer un condensé de la biodiversité morvandelle et nivernaise. C’est dans ce genre de “petit espace”, aimait à dire l’érudit morvandiau André Theuriet, “que vibrent les secrets des terres ancestrales”.

  • Près de 3000 personnes visitent chaque année l’étang, volontiers à pied ou à vélo, selon les données du Parc du Morvan (2022).
  • Des programmes de sciences participatives, pilotés par les associations locales, permettent aujourd’hui à quiconque d'observer, de recenser et de transmettre ses observations naturalistes.

Vivre au rythme du Merle, c’est renouer avec une manière de regarder le paysage : patience, attention, humilité. Le site nous rappelle la nécessité d’inventer de nouveaux équilibres, là où l’humain doit s’inspirer de la nature, et non seulement la régenter. Si l’on en croit les retours d’expérience récoltés au fil des saisons, découvrir l’étang du Merle c’est, souvent, sortir grandi — plus attentif aux cycles invisibles, et à ce qui fait vraiment la “richesse” d’un lieu.

Les archives

Au fil de l’eau : rivières et étangs qui dessinent le Nivernais Morvan

Le Nivernais Morvan, si souvent évoqué comme un pays de forêts et de collines, est avant tout une terre d’eaux. Ses paysages, modelés depuis des millénaires par l’action discrète mais persistante des rivières...

Entre pierres qui parlent et forêts vivantes : l’équilibre subtil de Lormes

Située à la lisière du Morvan, à la croisée de plusieurs chemins de randonnée et du Parc naturel régional, Lormes (Nièvre) ne ressemble à aucune de ces petites villes de campagne où le temps se serait d...

Le lac des Settons, miroir vivant de la nature et du tourisme vert du Morvan

Le nom « Settons » évoque d’emblée un paysage singulier : l’eau frangée de forêts, les rives où s’échouent les légendes, et l’écho du Morvan profond où cohabitent landes, bruyères et hêtres s...

Lac des Settons : entre légendes et histoire, origines d’un géant du Morvan

Le lac des Settons s’étend au centre du Morvan, sur la commune de Montsauche-les-Settons, à quelque 600 mètres d’altitude. Ce miroir d’eau de 366 hectares ne doit rien au hasard, ni aux seuls caprices de la nature : derrière...

Pannecière, le géant d’eau du Morvan : histoire, paysages et secrets d’un lac emblématique

Au cœur du Parc naturel régional du Morvan s’étend le lac de Pannecière, vaste miroir d’eau contrarié par les saisons, qui dessine dans les bois vallonnés une présence à la fois pacifique et puissante...