Le lac des Settons, miroir vivant de la nature et du tourisme vert du Morvan

Un lac, une identité façonnée par l'homme et la nature

Le nom « Settons » évoque d’emblée un paysage singulier : l’eau frangée de forêts, les rives où s’échouent les légendes, et l’écho du Morvan profond où cohabitent landes, bruyères et hêtres séculaires. Pourtant, il faut rappeler que le lac des Settons est avant tout une création humaine. Construit à partir de 1854, il naît de la nécessité d’alimenter en flottage le bois de chauffage pour Paris, via l’Yonne (source : Parc naturel régional du Morvan). Cette retenue articule donc d’emblée paysage, économie et projet territorial : une constante du Morvan.

Six kilomètres carrés d’eau, une digue pionnière du XIX siècle (367 mètres de long, 20 mètres de haut) et, tout autour, plus de 360 hectares de forêts domaniales : voici la première esquisse du site. Mais, rapidement, ce plan d’eau va se révéler un formidable laboratoire du tourisme vert en France, avant même la naissance du concept dans les années 1970.

Un patrimoine paysager aux multiples strates

L’entrelacs des milieux naturels

Autour des Settons, l’équilibre entre l’eau et la forêt s’impose d’emblée au regard. Cette cohabitation n’est pas fortuite : le Morvan s’inscrit dans la classification Natura 2000 pour sa richesse écologique, et les forêts qui bordent le lac abritent une biodiversité remarquable, tant végétale (hêtres, pins sylvestres, aulnes…) qu’animale : balbuzards pêcheurs, martins-pêcheurs, hérons, libellules rares (source : Parc du Morvan, DREAL Bourgogne).

• Plus de 150 espèces d’oiseaux recensées dans la zone, dont plus de 30 nicheuses (source : Ligue pour la Protection des Oiseaux - LPO).
• Des tourbières relictuelles, classées zones humides d’intérêt prioritaire, jouent leur rôle de « sponge » naturelle contre les inondations.
• La mosaïque d’îlots (les « Illots Chaumard », la « Grande Île ») offrent autant de microcosmes, propices à l’exploration naturaliste autant qu'à la rêverie.

Les espaces façonnés par l’homme

Les paysages du lac des Settons ne se comprennent pas sans évoquer la « culture du flottage » : les « pare-feux », digues, chemins de surveillance, traces anciennes du passage du bois sont encore lisibles dans la topographie locale. L’actuel sentier des Settons (14,5 km, balisé) suit parfois les voies qu’empruntaient les flotteurs, témoignant d’un lien profond entre nature et métiers d’autrefois.

Autour du lac, les villages - Montsauche-les-Settons, Moux-en-Morvan - gardent la mémoire de la vie forestière et de l'implantation de « chantiers » saisonniers. Pierre et bois s’y conjuguent dans une architecture sobre et robuste.

Genèse d’une destination du tourisme vert

Un pionnier du tourisme de nature

Si l’expression « tourisme vert » n’apparaît guère avant la seconde moitié du XX siècle, les Settons s’y montrent précurseurs. Dès 1900, le site attire les premiers « villégiateurs » français, notamment des familles de Nevers, d’Auxerre et même de Paris, séduites par le contraste entre l’eau claire et la forêt profonde (source : Bulletin de la Société des Sciences et Arts du Nivernais, 1902).

• La « Société des Amis des Settons » lance en 1909 les premières initiatives de « protection du site et des paysages remarquables », bien avant l’essor du mouvement environnemental.
• Entre 1920 et 1930, des « auberges de jeunesse » sont fondées sur les rives du lac, souvent tenues par d’anciens instituteurs ou des « petits propriétaires » locaux.
• L’arrivée du train à Saulieu, puis à Château-Chinon, facilite la venue de touristes curieux et lettrés – tel Georges Bataille, qui note en 1937 : « Le Morvan, c’est tout un continent de silence et d’étangs, un air qui sent la fougère et la liberté. »

L’invention d’un imaginaire

En flânant sur les cartes postales anciennes, une constante : les clichés du lac des Settons privilégient les vues grand angle où barques, forêts et brumes se mêlent. Cette vision a construit un imaginaire : celui d’un Morvan « authentique », loin du monde, où la nature serait à la fois généreuse et refuge. Ce mythe, toujours actif, nourrit l’attractivité du tourisme vert local.

Est-ce un hasard si les écrivains Marguerite Audoux ou Henri Vincenot ont puisé dans ces paysages une inspiration poétique ? Pour Vincenot, le Morvan est « un monde oublié derrière la colline, à portée de cœur » (Lettre à mon fils, 1975).

Un haut-lieu d’expériences écotouristiques

La randonnée sous toutes ses formes

Le lac des Settons concentre un réseau remarquable d’itinéraires de randonnée, adaptés à tous les niveaux :

• Le Tour du lac : 14,5 km, balisé, entre plages, forêts de douglas et passerelles sur pilotis.
• Voies vélo et VTT : Liaison vers la Grande Traversée du Morvan, boucle cyclotouristique Morvan – Bibracte, et réseau local de pistes pour familles.
• Chemins d’interprétation : Panneaux sur la faune, la flore, les métiers du bois. Certains sentiers sont accessibles aux personnes à mobilité réduite (projet Natura 2000-Morvan 2022).

La voile et l’eau douce : une tradition d’accueil

Contrairement à d’autres grands lacs intérieurs, les Settons ont privilégié, depuis plus de 40 ans, une approche douce des activités nautiques. Le moteur thermique y est strictement contrôlé. Près de 800 voiliers et barques sont présents chaque été, et le Centre nautique accueille chaque année plus de 10 000 pratiquants d’activités respectueuses de l’environnement (source : Office de tourisme Morvan Sommets et Grands Lacs).

• Kayak, paddle, voile légère, aviron y sont les sports rois.
• L’Office national des forêts anime chaque année des sorties « découverte » pour enfants des écoles rurales et citadines.

Des plages familiales (comme la Plage du Midi) illustrent cet équilibre entre usages populaires et respect du site.

Hébergement et alimentation locale : expérimentation et sobriété

Du côté des hébergements, les Settons ont vu émerger des modèles variés et sobres :

• Gîtes ruraux, campings à éco-labels : 5 établissements certifiés « Clé verte », proposant gestion raisonnée des déchets et circuits courts (source : label Clef Verte 2023).
• Chambres d’hôtes historiques, souvent dans d’anciennes maisons de flotteurs.
• Expériences insolites : cabanes sur pilotis, tiny houses en lisière de forêt, séjours participatifs en agroécologie.

La gastronomie locale trouve autour du lac une nouvelle jeunesse : farçous du Morvan, charcuteries fermières, truites des rivières du bassin, fromages (chaource, époisses) servis dans un rayon de moins de 40 kilomètres, illustrant la tendance du « slow food ».

Un paysage vivant : enjeux contemporains et transmission

Protéger, informer, impliquer : le modèle du Morvan

Les paysages du lac des Settons sont emblématiques du tourisme vert parce qu’ils incarnent une démarche continue de médiation et de protection. Plusieurs initiatives méritent d’être soulignées :

• Le Parc naturel régional du Morvan mène des chantiers de réhabilitation des milieux humides et de suivi de la biodiversité, impliquant les habitants via des « chantiers participatifs ».
• L’école du lac, créée en 2019, sensibilise chaque année plus de 450 enfants à l’écologie, via des ateliers de terrain, des inventaires « citoyens » de la faune et la gestion raisonnée des déchets lors des séjours scolaires.
• Rôle du tourisme durable : 64% des touristes hébergés autour des Settons en 2023 déclarent avoir choisi la destination pour « l’environnement préservé » et « la qualité de vie » (source : enquête Tourisme Bourgogne 2023).

Légendes, mémoire et modernités

La réussite du tourisme vert aux Settons ne repose pas seulement sur la beauté des eaux et des forêts. Elle s’alimente aussi des récits et de la mémoire collective. Contes de lavandières noyées, des « lutins du pont de pierre », histoires de résistance forestière durant la Seconde Guerre mondiale : tout concourt à rendre le paysage « habité », porteur de sens (Voir Les Légendes du Morvan, Abbot Bazin, 1909).

Parallèlement, le site expérimente – en partenariat avec la région Bourgogne-Franche-Comté – des applications numériques pour baliser les chemins, valoriser les initiatives citoyennes ou cartographier la flore, sans jamais rompre le lien avec la sobriété et la convivialité.

Perspectives : rester exemplaire au XXI siècle

Face à l’intensification des épisodes de sécheresse et d’affluence touristique, la zone fait figure d’atelier grandeur nature pour le tourisme durable. La gestion de l’eau et la préservation du couvert forestier sont devenues priorités. La limitation de l’étalement des aménagements balnéaires, l’encadrement strict des activités nautiques et le soutien aux mobilités douces (bus d’approche depuis Château-Chinon en saison estivale) maintiennent l’équilibre recherché entre attractivité et sauvegarde.

Au bout du compte, le lac des Settons et ses abords démontrent concrètement que le tourisme vert n’est pas une simple étiquette, mais un processus : celui du dialogue entre paysage naturel, gestes humains, mémoire et innovation écologique. Ce qui est donné à contempler, à travers ces paysages emblématiques, c’est l’alliance – jamais achevée – entre habitants, visiteurs, usagers et rêveurs.

Ce site reste ainsi l’un des modèles français d’articulation entre développement local, aventure douce, transmission culturelle et respect de la lenteur : ce que le Morvan, dès ses origines, a su faire vivre et partager.