Lac des Settons : entre légendes et histoire, origines d’un géant du Morvan

Un lac au cœur du Morvan : géographie et repères

Le lac des Settons s’étend au centre du Morvan, sur la commune de Montsauche-les-Settons, à quelque 600 mètres d’altitude. Ce miroir d’eau de 366 hectares ne doit rien au hasard, ni aux seuls caprices de la nature : derrière ses rives boisées et ses îlots mystérieux, il cache une histoire façonnée par les mains de l’homme. Alimenté par l’Yonne et la Cure, ce vaste réservoir s’inscrit dans le réseau complexe des Grands Lacs du Morvan, berceaux de mythes locaux et de transformations industrielles.

La création du lac des Settons : entre ingénierie et enjeux économiques

Le Morvan, poumon de la flottage du bois vers Paris

Au début du XIX siècle, Paris, en croissance rapide, réclame du bois pour se chauffer et construire. Les forêts du Morvan, riches en hêtres et en chênes, deviennent la principale ressource. Le flottage du bois sur l’Yonne — c’est-à-dire le transport de troncs assemblés en radeaux — exige de l’eau en abondance pour franchir étiages et obstacles. C’est cette nécessité qui va guider la création du lac.

Un barrage en quête d’eau à la demande

Entre 1854 et 1861, sous la houlette de l’ingénieur Cachelou, le barrage des Settons est érigé : 267 mètres de long pour 20 mètres de haut. On calcule alors avec précision les volumes nécessaires pour soutenir la flottaison tout au long de l’année. Inauguré en 1861, il permet de réguler le débit de l’Yonne et donc d’alimenter Paris en bois flotté lors des périodes de sécheresse. L’ouvrage, classé monument historique, fait partie des rares barrages de pierres maçonnées dans la France du XIX siècle, avec un appareil alterné de granit et de grès, où la pierre de taille donne à voir tout le savoir-faire des bâtisseurs locaux (source : Base Mérimée).

  • Volume du lac à la cote maximale : 23 millions de m³
  • Profondeur maximale : 8 à 10 mètres selon les sources
  • Superficie : 366 hectares

Un chantier titanesque… et ses drames

La construction du barrage n’est pas sans souffrance : archives et témoignages rappellent que plusieurs ouvriers périrent lors des travaux, notamment lors des crues soudaines de l’Yonne et d’un éboulement célèbre en 1857. Certains disent que leurs silhouettes erreraient encore les matins de brume, prémices aux récits fantastiques à venir…

Légendes et récits populaires autour du lac des Settons

Le “village englouti” : mythe ou réalité ?

Quelques conteurs murmurent encore que sous les eaux du lac dormirait un hameau oublié, englouti lors de la mise en eau. En réalité, il n’existait, à l’emplacement du barrage, qu’un moulin et deux fermes expropriés et détruits lors des travaux — leurs traces resurgissent parfois lors des assecs partiels, notamment lors de la vidange décennale du lac. Mais cette “ville engloutie” hante la mémoire collective, comme dans de nombreux lacs de retenue en France (pensez à Tignes ou à Serre-Ponçon). Toute légende a ses racines dans un fait, bien qu’embelli par le temps (source : Bulletin de la Société d’histoire et d’archéologie du Morvan, 1978).

L’île aux sorciers et les pierres qui chantent

Le lac des Settons compte plusieurs petites îles, refuges à légendes depuis des générations :

  • L’île aux sorciers : autrefois appelée “l’île des Enchantements”, elle aurait servi de lieu de rendez-vous aux sorciers du Morvan à la Saint-Jean. Les anciens racontent que l’on voyait danser des feux follets et que les sabots y résonnaient la nuit tombée.
  • Les pierres chantantes : sur certaines îles, des tables granitiques émettent des sons étranges sous les coups du vent et de l’eau. D’aucuns prétendent y entendre les voix des “graillons”, les lutins farceurs du Morvan, ou les larmes des lavandières noyées.

Il s’agit là d’imaginaires propres aux campagnes morvandelles, où la frontière entre le visible et l’invisible demeure poreuse. Ces récits furent collectés dès le XX siècle par Adolphe Joanne dans ses « Guides-Joanne : Nivernais et Morvan » et, plus récemment, par Jean F. Gorse et Françoise Vignier dans Mystères et Légendes du Morvan.

Des eaux hantées par la “Passeuse”

Un autre récit, courant sur les bords du lac, évoque la Passeuse : fantôme d’une lavandière ou d’une femme abandonnée, condamnée à errer sur les berges nocturnes. On retrouve d’ailleurs la figure de la “dame blanche” dans plusieurs contes de la région, à l’instar de la Vouivre. Certains pêcheurs affirment avoir vu, en plein brouillard, une silhouette drapée de blanc, guidant d’intrépides marcheurs — présage de tempête, ou invitation à la prudence ?

Le lac au fil du temps : entre invention et patrimonialisation

Des rituels et superstitions liés à l’eau

L’eau du lac, considérée comme « dormante » par les Morvandiaux du XIX siècle, était l’objet de plusieurs croyances :

  • Les habitants évitaient de s’y baigner à la Saint-Jean, redoutant d’y croiser les esprits égarés des anciens ouvriers ou les “lavandières de nuit”, censées laver les linceuls des défunts.
  • On y jetait parfois des pièces pour conjurer le mauvais sort, en particulier avant les traversées nocturnes.

Si aujourd’hui l’aspect récréatif l’emporte, ces rituels refont surface lors des fêtes du lac ou dans le discours des anciens guides de pêche.

Le tourisme façonne de nouvelles histoires

À partir du début du XX siècle, l’essor du tourisme transforme le lac des Settons. Hôtels, chalets et embarcadères s’installent, invitant de nouveaux récits : histoires de sauveteurs héroïques, d’animaux fantastiques (tel le “brochet géant” dont tout pêcheur un peu expérimenté pourra raconter l’évasion miraculeuse), de disparitions inexplicables ou d’objets trouvés par les plongeurs lors des opérations d’entretien du barrage.

Les traces du passé : vestiges et mémoire collective

La vidange décennale du lac, décidée pour l’entretien du barrage, constitue un événement marquant. À chaque retrait de l’eau, surgissent ruines, restes d’anciens moulins, portions de ponts et d’anciens chemins forestiers. Nombre de promeneurs participent alors à une véritable chasse aux souvenirs, cherchant les marques des activités d’autrefois — une plaque d’immatriculation perdue, un sabot, parfois même d’antiques outils de bûcherons.

Diversité des perceptions : entre mythe, science et mémoire vivante

Le lac des Settons, comme d’autres lacs de création récente, montre l’épaisseur du temps : sédiment d’une aventure industrielle, réservoir d’imaginaires et prétexte à de nouvelles créations. Si aucune ville n’a réellement été engloutie, si la Passeuse demeure insaisissable, il n’empêche : la nuit, au bord du lac, les sons, les lumières, les brumes ramènent cette frontière fragile entre le rationnel et le merveilleux.

Par son histoire, ses accidents, ses îlots secrets et ses fêtes, le lac continue de capter l’attention — et d’inspirer ceux qui le traversent ou l’observent. Bien des cartes postales anciennes en témoignent : on y voit radeaux de bûcherons, promeneurs du dimanche, familles baignées de lumière. Aujourd’hui, ses légendes nourrissent autant la quête de l’ailleurs que le sentiment d’appartenance au Morvan.

  • Bibliographie indicative :
    • Adolphe Joanne, Guides-Joanne : Nivernais et Morvan
    • Jean F. Gorse et Françoise Vignier, Mystères et Légendes du Morvan, Éditions Horvath
    • Base Mérimée (Inventaire du barrage)

Pistes à explorer : au-delà du miroir du lac

Le lac des Settons invite à poursuivre le voyage : écouter les conteurs, lire les traces du paysage, comprendre les liens entre technique, nature et croyances — et pourquoi pas, arpenter ses rives pour glaner ses propres histoires, à la croisée du tangible et du fantastique. Les sentiers du Morvan, à chaque détour, savent entretenir la magie.

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