Pannecière, le géant d’eau du Morvan : histoire, paysages et secrets d’un lac emblématique

Un lac né d’une nécessité : le barrage de Pannecière et la naissance du grand plan d’eau

Au cœur du Parc naturel régional du Morvan s’étend le lac de Pannecière, vaste miroir d’eau contrarié par les saisons, qui dessine dans les bois vallonnés une présence à la fois pacifique et puissante. S’il figure aujourd’hui dans nombre de guides et de récits de promeneurs, c’est qu’il est avant tout l’héritier d’une histoire ponctuée de contraintes, d'ingénierie et d'hommes confrontés aux excès de la Seine.

À l’origine, Pannecière n'était qu’une vallée encaissée, irriguée notamment par l’Yonne et sa dizaine d’affluents. Mais suite aux inondations historiques qui submergèrent Paris au début du XX siècle, la création d’une série de lacs-réservoirs fut envisagée pour réguler le cours capricieux de la rivière. Parmi eux, Pannecière occupe une place à part. Sa mise en eau, décidée par décret le 13 septembre 1929, s’acheva en 1949 après près de vingt ans de travaux, ralentis par la guerre (Sources : "L’histoire du barrage de Pannecière", Cahiers du Morvan, n°113, 2021 ; data.gouv.fr).

Dimensions et chiffres clés : Pannecière, le plus vaste du Morvan

  • Surface à plein bords : 520 hectares – soit plus de 700 terrains de football !
  • Longueur : près de 7,5 kilomètres pour 1 kilomètre de largeur maximale.
  • Capacité de retenue : près de 81 millions de mètres cubes d’eau.
  • Altitude : 320 mètres, ce qui permet à Pannecière de bénéficier d’un dénivelé intéressant pour la production hydroélectrique.
  • Barrage : 49 mètres de haut, 356 mètres de long.

Ce sont ces dimensions qui font de Pannecière, sans rival, le plus grand plan d’eau du massif du Morvan, dépassant largement le lac des Settons (370 ha), de Chaumeçon (135 ha environ) ou du Crescent (165 ha).

Un rôle méconnu : la protection de Paris contre les crues

Pour comprendre la grandeur du lac de Pannecière, il faut saisir le contexte de sa construction. Plus qu’un atout paysager ou touristique, il était d’abord une réponse technique à la vulnérabilité de la capitale. Sa capacité à retenir brutalement une part du flot de l’Yonne en période de crue permet de retarder, voire d’atténuer, l’onde de crue vers Paris.

Lors des crues de janvier 1955, à peine cinq ans après la mise en service du réservoir, Pannecière démontre son efficacité en stockant 70 millions de m³ au plus fort de la crue, évitant à Paris une montée des eaux comparable à celle de 1910 (Source : « Le barrage de Pannecière et la régulation de la Seine », Le Monde, 1955).

Il faut noter, toutefois, que l’ouvrage n’a pas vocation à contenir durablement la totalité des eaux en cas de crue exceptionnelle — son rôle consiste surtout à lisser l’onde de crue, à donner du temps aux communes aval pour se préparer.

Paysages et usages : un lac aux multiples visages

Contrairement à un lac naturel, Pannecière présente ce que les hydrologues appellent un « plan d’eau à niveaux variables ». Selon les besoins de régulation et les saisons, son niveau baisse ou remonte, dessinant parfois d’immenses grèves de vases et donnant au paysage des allures mouvantes. Il est rare pour un visiteur d’admirer deux fois, à des semaines d’intervalle, exactement la même rive ou le même horizon.

Ce caractère flottant fait de Pannecière un terrain de jeu particulier pour la faune et les habitants :

  • Pêche : le lac est réputé pour ses brochets, sandres, carpes (plus de 3000 carnassiers dénombrés chaque année lors des pêches de la Fédération de pêche de la Nièvre).
  • Observatoire ornithologique : lors des étiages, les vasières accueillent de nombreuses espèces d’oiseaux migrateurs, dont la rare spatule blanche (Platalea leucorodia).
  • Plages, baignades et randonnées : l’été, Pannecière attire familles, randonneurs et kayakistes sur plusieurs zones aménagées comme Bonin ou l’Herbeaux.

En automne et au début du printemps, lorsque le niveau minimum est atteint, le lac dévoile son lit, vestige d’un autre temps — une silhouette engloutie d’arbres morts, de rochers, et parfois, les traces de l’ancien village de Blaisy, sacrifié à la montée des eaux en 1949. Il n’est pas rare de croiser, lors de ces basses eaux exceptionnelles, des curieux à la recherche d’anciennes pierres ou d’outils oubliés.

Un chantier monumental aux conséquences durables

La création de Pannecière ne fut pas sans conséquences pour la vie locale. Quarante-trois habitations de la vallée de l’Yonne, une dizaine de fermes isolées, un moulin et deux villages — notamment celui de Blaisy — furent rayés de la carte, et leur mémoire enfouie sous les flots. Entre 1937 et 1949, plus de 400 ouvriers se succédèrent sur le chantier, dont beaucoup d’étrangers fuyant la guerre. Des portions de routes départementales furent englouties, ainsi que plusieurs ponts de pierre, dont on distingue encore, à l’étiage, les assises entre deux rives nues.

Longtemps, la région porta la cicatrice de « l’exil de Blaisy », souvenir vivace dans les familles concernées, comme en témoignent les carnets d’habitants publiés dans les années 1990 par l’association Mémoires du canton de Corbigny (voir Médiathèque du Morvan).

À la croisée des enjeux modernes : nature, technique, mémoire

If y a dans la géographie du Morvan une force d’équilibre : Pannecière en est un condensé remarquable. Il s’inscrit dans une trilogie de fonctions :

  1. Sécuriser les villes d’aval (Paris, Melun, etc.) contre les crues.
  2. Assurer un débit minimal de la Seine pendant les sécheresses estivales, indispensable au refroidissement de centrales électriques et à la préservation de la faune piscicole.
  3. Doter la région d’un site naturel à forte valeur écologique, classé zone Natura 2000 pour la biodiversité exceptionnelle de ses eaux et de ses rives.

Dans les années 2020, la gestion du lac fait l’objet d’un véritable dialogue entre l’EPTB Seine Grands Lacs (gestionnaire), les collectivités, pêcheurs et associations écologistes afin d’arbitrer entre intérêts parfois contradictoires : préservation de la biodiversité, maintien des activités humaines, accueil du public, respect des paysages et sauvegarde de la mémoire.

Ce que le regard révèle : petites histoires et héritages à découvrir

Promeneur attentif ou passionné d’histoire, chacun trouve au bord de Pannecière de quoi nourrir sa curiosité. On dit que par matin de brume, il n’est pas rare de croiser un ornithologue posté sur la digue, guettant le passage de l’aigrette garzette. Sur les sentiers qui s’enfoncent, à l’ouest, dans la forêt de Breuil-Chenue, des cairns de pierres rappellent l’ancien tracé du chemin de St Jacques de Compostelle, que les pèlerins franchissaient d’abord à gué, bien avant le barrage.

Parfois, lors des « pêches de sauvetage » programmées avant les opérations de vidange totale (la dernière, en 2011), on redécouvre dans la vase des objets de la vie quotidienne du temps passé : sabots de bois, monnaies, éclats de vaisselle, ou simples outils, que les archéologues locaux s’efforcent de documenter sans toujours pouvoir retracer leur histoire précise.

Le 29 mars 1949, “l’onde de la retenue” franchit Blaisy sous les yeux émus des derniers habitants contraints à l’exode. Aujourd’hui, les eaux du grand lac recouvrent ce passé. Mais sur la rive nord, une stèle discrète honore la mémoire de ces familles déracinées, rappelant que sous chaque vague miroir du Morvan sommeille un monde enfoui.

Au fil de l’eau, un patrimoine vivant

Qu’on le découvre lors d’une randonnée, d’une pêche à l’aube ou d’un bivouac en été, le lac de Pannecière frappe par la diversité de ses visages et la force de sa présence. Il incarne, à lui seul, l’histoire d’une transformation du territoire, où nature, technique et mémoire se conjuguent au fil de l’eau. Plus qu’un record de surface, sa grandeur tient à son pouvoir de relier les habitants entre eux, hier et aujourd’hui, et de donner au pays du Morvan le miroir mouvant où se reflètent ses passions, ses peurs et ses espérances.

Pour en savoir plus :

  • Site officiel de l’EPTB Seine Grands Lacs : seinegrandslacs.fr
  • Cahiers du Morvan (revue locale de référence)
  • ANA-Morvan (Association Naturaliste du Morvan)
  • Données et archives : Bibliothèque municipale de Corbigny, “Collection Pannecière” (accessibles sur demande)

Les archives

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