Le Signal d’Uchon : une fenêtre ouverte sur la mosaïque Nivernais-Morvan

Un observatoire naturel, frontière et carrefour

Le Signal d’Uchon a longtemps servi de vigie naturelle, point de repère dans la toponymie locale et limite géographique. Situé à la jonction de la Saône-et-Loire et de la Nièvre, il appartient autant au massif granitique du Morvan qu’aux lisières des premières collines bourguignonnes.

  • Altitude : 681 mètres, l’un des plus hauts points du sud Morvan.
  • Coordonnées : 46°48′42″N 4°10′36″E (source : IGN).
  • Frontières naturelles : Ici, s’épousent le plateau morvandiau, les bocages du Charolais et la cuvette autunoise.

Depuis le Signal, la vue s’étire parfois jusqu’au Mont-Blanc par temps très clair. On y distingue au nord les forêts denses du Haut-Morvan, à l’est la vallée de l’Arroux et les plaines plus ouvertes, au sud les pâturages ronds, dessinés par des générations d’éleveurs bovins, et à l’ouest les ondulations de granit où affleurent chaos rocheux et hêtraies.

Un poste d’observation militaire et symbolique

L’Histoire a fait du Signal d’Uchon une sentinelle. Repère défensif pendant la guerre de Cent Ans (source : Groupe d’étude du patrimoine Uchonnais), abri pour les maquisards en 1944, il a souvent joué ce rôle d’éminence stratégique. Napoléon III lui-même, lors d’une visite à Autun en 1864, l’aurait décrit comme « le balcon granitique de la Bourgogne profonde » (lettres locales – archives départementales 71). Ce rôle de vigie se retrouve dans la toponymie : « Signal » évoque d’abord la signalisation militaire.

Lecture de paysage : les strates de la diversité

Depuis le sommet, circulent plusieurs registres de diversité qui composent l’identité du Nivernais Morvan. Ces strates sont à la fois géologiques, écologiques, humaines et mémorielles. Leur superposition apparaît dans chaque direction du regard.

Le substrat granitique, matrice du Morvan

  • Géologie: Roche affleurante, chaos de boules de granit (Les « Rochers du Carnaval » sont classés monument naturel depuis 1933), héritiers d’une formation de plus de 300 millions d'années (BRGM).
  • Microclimats: La présence de blocs expose à des vents plus frais, créant une flore particulière (sédums, lichens, bruyères).
  • Histoire rurale: Les murs de pierre sèche visibles en contrebas témoignent du paysage bocager modelé par la main de l’homme.

Un patchwork agricole, héritage de la polyculture morvandelle

  • Vue sur les prairies naturelles, les haies de charme et chêne, les lignes de pommiers qui rappellent une tradition cidricole aujourd’hui marginale (source : Inventaire des savoir-faire ruraux, Région Bourgogne).
  • Par temps clair, on distingue vers l’ouest une partie du bassin du Beuvray, autrefois couvert de « chaumes » dédiées au pâturage des « charolaises ».

Bois, landes et prés : un entrelacs écologique

L’alternance de landes sèches, de hêtraies-sapinières et de petites forêts résiduelles dessine une véritable mosaïque, rare à cette altitude pour la Bourgogne. L’« inventaire des forêts anciennes » (INRAE, 2017) montre la coexistence de parcelles jamais défrichées et de boisements récents.

  • Espèces phares : genêt à balai, digitale pourpre, fougère-aigle, et, plus rare, la cigale montagnarde (signalée en 2011 – CEN Bourgogne).
  • Pressions actuelles : Disparition des pâturages et fermeture du paysage (enfrichement depuis les années 1980).

Les hommes et les pierres : village-récit au pied du Signal

Depuis le Signal, la silhouette ramassée du village d’Uchon s’aperçoit sur son promontoire secondaire, sa minuscule église, ses maisons de granit couverts de lauzes ou d’ardoises locales. Quelques anecdotes fondent l’imaginaire local et rappellent les liens entre paysage et mémoire.

  1. Chaque été, les cloches marquent non seulement l’heure, mais aussi le rythme des travaux agricoles, réglant un temps immémorial au pied des rochers.
  2. Il existe des légendes, dont celle de la « Pierre qui Pleure » : rocher suintant, objet de superstitions, lié à une histoire de berger trompé, relatée par l’abbé Baudiau dès 1854 (« Le Morvan et ses traditions », Jean-François Baudiau).
  3. Les chaos rocheux servaient de repères pour les échanges entre commerçants-charretiers du Nivernais et de l’Autunois ; d’anciennes bornes à demi effacées tracent encore la limite séculaire (source : Club géologique Autunois-Morvan).

L’importance du patrimoine bâti vu d’en haut

Quelques lieux repérables à la jumelle depuis le Signal :

  • La tour de Montjeu : vestige d’un château du XVIIe siècle, pointant l’influence des grandes familles en Morvan.
  • Les anciens moulins de la Dragne : leurs toitures en ruines racontent la force de l’eau et l’industrie rurale oubliée.
  • Traces de « cercles de pierre » : probables enclos agraires médiévaux, décelables dans la lumière du soir.

Des panoramas qui font frontière et lieu de passage

Le Signal d’Uchon tient aussi sa force de sa position de seuil. On y lit, par la diversité du paysage, les grandes césures culturelles de la Bourgogne historique.

  • Séparation linguistique : Ici se rencontrent, au Moyen Âge, le parler bourguignon et celui du Nivernais (Jacques Lacroix, « Les frontières linguistiques du Morvan »).
  • Filières économiques : Bois du Morvan vers le flottage sur l’Yonne, bestiaux menés sur pied vers les marchés du Charolais.
  • Psychogéographie : Beaucoup d’écrivains de passage ont décrit une sensation de « bout du monde » : Pierre Malherbe en 1952 parlait de « promontoire des imaginations » (Source : Le Morvan, un pays, une âme).

Une carte ancienne à la loupe

La carte d’État-Major du XIXe siècle (feuille Autun-Morvan, 1865) montre déjà la densité d’anciens chemins montant au Signal, preuve de son importance comme point de passage et de surveillance. On y voit des toponymes aujourd’hui oubliés : « la Pierre à Nanon », « Près des Quatre Demoiselles », signalant la richesse toponymique du secteur.

Le panorama comme miroir des enjeux contemporains

Si le Signal raconte tant, c’est aussi parce que le regard se pose aujourd’hui sur un territoire vivant les tensions de l’époque : perte de population (-18% sur la commune d’Uchon entre 1975 et 2018 – INSEE), mutation du pastoralisme vers une forêt en expansion, développement d’un tourisme de nature de plus en plus présent (près de 15 000 visiteurs annuels en 2019 selon l’Office de tourisme du Grand Autunois Morvan).

  • Scarification du paysage : Les coupes rases laissent des traces visibles depuis le sommet en été ; le questionnement sur la gestion forestière est palpable.
  • Renouveau : Apparition de jeunes agriculteurs bio, circuits courts (groupement “Morvandeaux de l’herbe” dès 2017), éco-accueils, randonnées patrimoniales.
  • Risques : Incendies estivaux plus fréquents (2022, alerte rouge feux de forêts pour Uchon, une première depuis 1949).

Focus sur la biodiversité visible depuis le sommet

  • Crapauds sonneurs à ventre jaune dans les mares temporaires (INPN, signalement depuis 2014).
  • Aigle botté en halte migratoire, visible au printemps par les ornithologues passionnés.
  • Prunellier à l’automne – baies noires prisées autant des oiseaux que pour le fameux « épine noire », liqueur domestique du pays.

Perspectives et inspirations : ce que les panoramas d’Uchon invitent à traverser

Le Signal d’Uchon n’offre pas un panorama figé, mais bien une invitation à arpenter, relire et recomposer les frontières mouvantes du Nivernais Morvan. On y prend conscience, le temps d’un détour ou d’un bivouac, de la complexité d’un pays que ni la carte ni la liste des villages ne sauraient entièrement contenir. Ce point de vue devient alors plus qu’un simple décor : c’est une expérience à vivre, à questionner, à transmettre.

  • Pour les historiens, un poste d’observation incomparable pour lire la superposition des temps.
  • Pour les naturalistes, un terrain d’expérimentation où la biodiversité s’offre sur 360°.
  • Pour les familles, randonneurs, curieux : un appel à raconter, à s’arrêter, à écouter ce que murmure ce balcon du Morvan.

Rien n’illustre mieux la diversité du Nivernais Morvan que la sensation, là-haut, d’assister à la rencontre de l’ombre des siècles et de la lumière d’aujourd’hui. Au Signal d’Uchon, le regard n’est jamais tout à fait le même ; on y goûte chaque fois une variation supplémentaire du territoire vivant.

Les archives

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