Mont Beuvray : Les crêtes, une signature visuelle du Morvan

Un sommet, mille regards : le Mont Beuvray, vigie du Morvan

Haute de 821 mètres, la silhouette du Mont Beuvray tranche, même parmi les reliefs ondoyants du Morvan. En approchant par les plaines nivernaises ou les vallées boisées, le Beuvray s’impose comme un repère, à la fois point de ralliement et ligne d’horizon. Mais plus qu’une simple élévation, ce sont bien ses crêtes qui captent et structurent le regard. Leur découpe participe à la lecture du paysage, liant nature, histoire et perception collective.

Situé à la charnière de la Nièvre et de la Saône-et-Loire, le Mont Beuvray ne domine guère en altitude comparé aux Alpes ou aux Pyrénées. Pourtant, il incarne pour beaucoup la « montagne » du Morvan. Comment expliquer une telle autorité visuelle ? Ce pouvoir est étroitement lié à la morphologie spécifique de ses crêtes, qui façonnent la façon de voir, de se déplacer et d’imaginer cette terre ancienne.

Des crêtes modelées par le temps : géologie et paysage

Formées il y a environ 500 millions d’années dans le cadre du massif ancien hercynien, les crêtes du Mont Beuvray résultent d’une lente érosion, laissant apparaître des arêtes boisées et de vastes replats. Selon l’Atlas du Morvan (Parc naturel régional du Morvan, 2001), le Beuvray et ses voisines telles que le Haut-Folin témoignent d’un bombement granitique, fragmenté en crêtes parallèles orientées sud-ouest/nord-est.

  • 813-821 m : points de crête, dont la terrasse sommitale du Signal
  • Bois mixte à hêtre dominant : diversité des essences accrue avec l’altitude et le vent
  • Érosions différentielles : relief marqué, sur une aire d’à peine 5 km

La crête sud forme comme une épaule exposée, prolongeant la vision sur le Charolais, tandis que l’arête nord se tourne vers la vallée du Haut-Morvan et les forêts de la Nièvre. Les abrupts et replats offrent ainsi une variation permanente du panorama, qui modifie le rapport au site en fonction des saisons ou de la météo.

Percevoir le paysage : crêtes, points de vue et perception spatiale

Les crêtes du Mont Beuvray jouent le rôle d’un balcon sur l’ensemble du Morvan occidental. En randonnée, l’arrivée sur la ligne de crête offre une expérience paysagère singulière. La forêt, dense et souvent mystérieuse, s’ouvre directement sur des vues panoramiques : Monts du Forez les jours clairs au sud, Monts du Lyonnais à l’est, puis, à l’ouest, la plaine de la Loire et au nord, l’échine verte du Morvan central.

  • Point de vue du Signal: Vaste ouverture sur 360°, permettant jusqu’à 80 km de visibilité par beau temps (source : Parc du Morvan)
  • Sentier de la Carrière: Alternance de passages forestiers sombres et de points d’ouverture subits ; l’œil apprend à chercher la lumière à travers la ramure et l’espace s’élargit en atteignant la crête.
  • Effet de bord : Sur la limite boisée, le paysage se déploie soudain, révélant une impression de grandeur sans ostentation. La crête agit comme un seuil sensoriel.

Depuis le XIX siècle, nombre de voyageurs rapportent ce contraste. « Le vent nettoie les nuages des plateaux, la bruyère ondule, et tout l’ocre du Morvan se découvre d’un coup quand on franchit la lisière des hêtres du Beuvray » note Adolphe Joanne dans son Itinéraire général de la France, Bourgogne (1864).

Bibracte et la construction d’un imaginaire collectif

L’impact des crêtes du Beuvray sur la perception du Morvan ne s’explique pas seulement par leur beauté ou leur relief ; il est aussi historique et symbolique. Ces crêtes abritent depuis plus de 2 000 ans le site de Bibracte, oppidum majeur de la civilisation éduenne. Les archéologues ont révélé comment les Gaulois avaient choisi ce sommet pour ses qualités défensives, mais aussi pour sa vue dominante, qui structurait leur rapport au territoire (Bibracte.fr).

  • Près de 200 hectares délimités naturellement par les crêtes
  • Réseau d’observation : Depuis Bibracte, vues sur l’ensemble du bassin du Morvan et échanges visuels possibles avec d’autres oppida (étude « Paysages du Beuvray », P. Nouvel, 2007)
  • Rôle politique et rituel : lieu de rassemblement des Éduens, la crête étant associée à la hauteur, au pouvoir, à la rencontre

Le poète Maurice Genevoix, natif du Niverniais, évoquait « le Beuvray, montagne double-face dont la crête partage le vent et l’histoire de deux pays » (Morvan, 1935). Les crêtes stimulent ainsi l’imaginaire régional, entre récit d’origine et force paysagère. Elles sont devenues toponyme, motif littéraire, et plus récemment, emblème touristique.

Les crêtes aujourd’hui : entre usages, conservation et tourisme

Si les anciens arpentaient les crêtes du Beuvray pour surveiller, pacager ou échanger, leur rôle dans la perception du paysage a évolué, mais ne s’est pas tari. Dès le début du XX siècle, naturalistes (E. Borel, Bocage et Forêt, 1921) et randonneurs viennent précisément pour « monter sur la crête » afin de saisir, en quelques mètres, la bascule entre vallée, forêt et ciel.

  • Réseau de sentiers balisés : 25 km sur le Beuvray, dont la quasi-totalité chemine en lisière de crête (source : PNR Morvan)
  • Site classé Grand Site de France : 2013, justement pour la qualité de son panorama et de sa préservation (Ministère de la Transition écologique, 2013)
  • Pression touristique : jusqu’à 100 000 visiteurs/an sur les sentiers et le musée de Bibracte (Bibracte.fr, chiffres 2022). Conséquence, nécessité de gérer les flux et d’encadrer l’accès à certaines sections fragiles.

Pratiques pastorales, parcours pédagogiques, animations naturalistes se multiplient, valorisant toujours la ligne de crête comme fil d’Ariane du site. On remarque d’ailleurs que l’appropriation de la crête varie selon les saisons : ruche d’excursions en été, espace de silence et de contemplation l’hiver, quand seuls les hêtres givrés tracent la frontière du ciel.

Anecdotes, cartes anciennes et images de crête

Dès 1765, la carte de Cassini repère les crêtes du Beuvray comme « Montagne de Beuvrai », accentuant leur relief et centralité. Au XIX siècle, les botanistes notent la coexistence rare de bruyères, hêtres et houx sur les arêtes, liée au microclimat d’altitude. L’Atlas du Morvan (éd. Autun, 1842) affiche le Beuvray comme un point d’interrogation au milieu des ondulations, remarquable parce que ses crêtes s’ouvrent à tous les vents.

Anecdote locale : jusqu’aux années 1960, les jeunes des villages alentours gravissaient le Beuvray le soir de la Saint-Jean pour « allumer le feu sur la crête », partageant lumière et chansons visibles de la vallée de l’Arroux à celle de l’Yonne. Une fête qui reliait par la vue et la voix les deux versants du Morvan.

Aujourd’hui, certains habitants parlent encore de « remonter sur la crête » lorsqu’ils veulent prendre du recul, aussi bien au sens propre que figuré.

Vers une nouvelle lecture du paysage morvandiau ?

Observer le Morvan depuis les crêtes du Beuvray, c’est conjuguer expérience sensible, héritage millénaire et enjeux nouveaux. Ce haut lieu, perché mais accessible, invite à porter un autre regard sur le Morvan : ni uniquement sauvage, ni seulement rural, mais traversé de lignes, de seuils et de motifs lents. Les crêtes, espaces de passage et de mémoire, restent aujourd’hui une source d’inspiration pour qui cherche à comprendre le lien intime entre relief et identité régionale.

La crête du Mont Beuvray, plus qu’un simple sommet, agit comme un cadre naturel et symbolique, structurant depuis deux millénaires la manière dont on voit et raconte le Morvan. Qu’on soit promeneur d’un jour, historien, géographe ou habitant, c’est rarement indifférent que l’on bascule d’une vallée à l’autre en épousant la ligne des crêtes.

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