Château-Chinon, cœur battant du Morvan : entre histoire, géographie et vie locale

L’évidence du centre : une capitale géographique et symbolique

À la croisée de routes séculaires, plantée sur un éperon rocheux qui regarde à la fois les vallées profondes et les collines arrondies du Morvan, Château-Chinon s’impose par la force des lieux. « Capitale du Morvan » : le titre lui est régulièrement attribué, bien plus qu’une flatterie, c’est une reconnaissance ancienne, forgée par la géographie et l’histoire.

Située à une altitude de 577 mètres, la ville offre depuis sa table d’orientation une vue qui embrasse à près de 360° le pays morvandiau (source : ). Depuis le Moyen Âge, ce promontoire fut prisé tant pour la surveillance du territoire que pour sa position centrale, à équidistance des grands villages morvandiaux. Encore aujourd’hui, la D978 et la D978bis convergent sur la commune, rappel direct du rôle de Château-Chinon comme carrefour des routes et des échanges.

Petite bourgade, grande Histoire

La fortune de Château-Chinon ne tient pas seulement à son site. Dès l’Antiquité, la région bénéficie d’une occupation humaine : non loin, la colline de Mont-Beuvray (Bibracte) fut le théâtre des assemblées des Éduens, peuple gaulois influent. Château-Chinon hérite de cette tradition de pôles régionaux autour de places fortes.

  • Au Moyen Âge, la cité se dote d’un château (dont le nom subsiste), qui abrite parfois les comtes de Nevers. La ville devient un « siège de justice », où se prennent les décisions administratives et fiscales pour tout le Haut-Morvan (Archives départementales de la Nièvre).
  • À l’époque moderne, la bourgade prospère grâce au commerce de bois, du bétail et du fameux fromage de chèvre, autant de richesses issues du bassin morvandiau.
  • Après la Révolution, Château-Chinon gagne son statut de chef-lieu de canton, puis de sous-préfecture (la seule du Morvan).

Un détail d’archives éclaire : dans un inventaire de 1810, la ville recense plus de 120 artisans actifs — forgerons, drapiers, sabotiers, sans oublier de nombreux aubergistes pour les voyageurs et colporteurs de passage.

François Mitterrand et l’ancrage politique régional

Le nom de Château-Chinon est aujourd’hui indissociable de la figure de François Mitterrand. Maire de la commune de 1959 à 1981, il y laisse une empreinte durable. C’est ici qu’il expérimente ses convictions sociales et son rapport étroit à la ruralité française (La Nouvelle République).

Ce lien s’incarne dans :

  • La modernisation des infrastructures (école, hôpital local, équipements sportifs)
  • La création du Musée du Septennat, formidable panorama des cadeaux officiels offerts à Mitterrand durant ses deux mandats présidentiels, témoignage inédit de la place de Château-Chinon dans l’imaginaire politique national
  • L’impulsion donnée à la vie associative locale — c’est dans ces décennies que naît la célèbre Fête des fleurs, et que de grands chantiers patrimoniaux voient le jour

La phrase de Mitterrand, souvent reprise, résume cet attachement : « Si quelqu’un veut me rencontrer un jour, il doit aller à Château-Chinon. »

Un rôle administratif et de services inégalé

Si le terme de « capitale » s’impose, c’est aussi par le rôle administratif que la ville a conservé et développé.

  • Plus de 2 006 habitants en 2021 (source : Insee) — ce qui n’en fait pas la localité la plus peuplée du Morvan, mais la plus centrale par ses fonctions
  • La présence d'une sous-préfecture, unique sur le massif
  • Plus d’une dizaine d’établissements scolaires, de la maternelle au lycée professionnel
  • Un hôpital, des services publics (trésor public, gendarmerie, tribunal d'instance historique etc.)
  • Une Maison du Parc naturel régional du Morvan, point de repère pour les actions environnementales et touristiques

Cette concentration administrative contraste avec la dispersion de nombreux services dans les autres villages du Morvan, souvent dépourvus de tels équipements. Château-Chinon est ainsi le guichet d’entrée de tout le massif pour les démarches administratives, sanitaires ou éducatives.

Un carrefour pour la culture, la mémoire et les festivités du Morvan

Le sentiment d’appartenance au Morvan, si fort dans la région, s’entretient à Château-Chinon par :

  • Les grands marchés du vendredi matin, héritage des foires aux bestiaux du XIX, où se retrouvent producteurs, artisans, habitants et curieux venant des hameaux voisins
  • Le Festival Morvan en fête, rassemblement de musiques et danses traditionnelles — la bourrée morvandelle y résonne chaque été sur la place Gudin
  • Le Salon du livre du Morvan, point d’orgue de la vie littéraire locale ; dès les années 1980, Jean-Louis Debré, alors ministre, et de nombreux auteurs y participent
  • La Fête des fleurs, couronnant chaque printemps un travail collectif monumental : en 2023, la ville recensait plus de 35 000 fleurs installées et une centaine de bénévoles mobilisés
  • Les musées : Musée du Septennat, Musée du Costume, Musée du Souvenir du Morvan

Autant d’occasions où la ville rallie tous les Morvandiaux, mais aussi vacanciers et amoureux du « pays », perpétuant l’image d’une capitale conviviale, animée et engagée dans la préservation de sa mémoire.

Un patrimoine bâti et naturel au croisement des influences

Circuler dans Château-Chinon, c’est lire l’histoire dans la pierre :

  • L’ancien château, sur son promontoire, rappelle le passé féodal ; ses vestiges sont encore visibles rue du Château
  • L’église Saint-Romain, dont le clocher roman domine la ville, abrite des œuvres inspirées de Jean Cocteau (vitraux réalisés en 1963)
  • Le lavoir monumental, classé Monument historique, témoigne de l’importance de l’eau et des usages collectifs dans la vie quotidienne du bourg
  • Les rues en escaliers, qui structuraient la circulation entre maisons d’artisans, auberges, anciennes halles et granges
  • Un tissu de jardins suspendus, héritage des familles urbaines venues se ressourcer à la campagne lors des grandes « transhumances estivales » du XIX

Aux portes de la ville, la forêt morvandelle s’étend : chênes, hêtres, pinèdes issues de l’afforestation du XX siècle, sentiers vers le Haut-Folin (point culminant du Morvan à 901 mètres) partent d’ici. Château-Chinon est aussi un point de rayonnement pour les randonnées et circuits patrimoniaux (Parc naturel régional du Morvan).

Château-Chinon, laboratoire d'une ruralité vivante

L’appellation de « capitale » ne doit pas masquer les défis de la ville et du Morvan tout entier : déprise démographique, accès aux services, transition écologique. Mais Château-Chinon est aussi le foyer de nombreuses innovations rurales.

  • Le maintien d’un lycée professionnel spécialisé dans la forêt et l’environnement, rare dans une si petite commune
  • Des initiatives en faveur du commerce local avec une dizaine de commerces de bouche, des marchés de producteurs et des circuits-courts travaillant avec les exploitations voisines
  • Des projets associatifs actifs dans la transition écologique, restauration du bocage, animation de jardins partagés, actions mémorielles sur l’histoire du maquis morvandiau pendant la Résistance

Selon l’Insee, entre 1990 et 2020, la population a certes chuté (passant de 2 748 à 2 006 habitants) mais les emplois dans l’administration, l’agriculture et la filière bois se sont stabilisés depuis une décennie, grâce à des politiques volontaristes et à une attractivité renouvelée auprès de néo-ruraux venant de toute la France.

Entre racines et horizons : Château-Chinon, capitale sans rival ?

Le débat reste ouvert : Moulins-Engilbert, Saulieu ou Autun revendiquent parfois ce « centre » du Morvan, selon leurs histoires ou perspectives. Mais Château-Chinon est la seule à être devenue capitale par la convergence des regards, des voix et des pratiques.

Ici, la capitale n’est ni un privilège ni une parure, mais une réalité vécue chaque jour, dans la vie des habitants, les marchés hebdomadaires, les grands rassemblements culturels. En arpentant ses rues, en écoutant les récits d’aînés sur les places ou dans les cafés, on comprend que ce titre s’est forgé colle à la peau, porté par un attachement commun à ces terres de forêts et de granit, cœur secret de la Bourgogne.

Sources : Archives départementales de la Nièvre, Insee, Parc naturel régional du Morvan, La Nouvelle République, Gallica BnF, site officiel de Château-Chinon, entretiens et enquêtes menées localement.

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