Corbigny : cœur battant et carrefour stratégique dans le Nivernais Morvan

Un point de rencontre ancien : géographie, routes et paysages

Au-delà de sa silhouette paisible sur le versant nord du Morvan, Corbigny a longtemps tenu un rôle central sur les chemins de l’histoire locale. Située à la frontière du Parc naturel régional du Morvan et de la plaine du Nivernais, la ville se trouve aussi à la limite des départements actuels de la Nièvre et de l’Yonne. Cette localisation lui a conféré un statut singulier, entre montagne et bassin, entre forêts profondes et terres agricoles, à la croisée de nombreuses trames de communication.

Une carte de Cassini du XVIII siècle (source : IGN Remonter le Temps) permet d’appréhender la concentration de voies anciennes autour de Corbigny. Plusieurs chemins la reliaient au sud à Château-Chinon et à Autun, à l’est à Lormes, à l’ouest à Prémery, et vers le nord à Clamecy, puis Auxerre, posant dès le Moyen Âge les bases de son importance. Cette position de fière sentinelle sur le rebord du Morvan en fait une “porte du Morvan”.

• Altitude : 223 m (centre-ville), avec un panorama sur la vallée de l’Anguison.
• Distanciation : 17 km de Tannay, 23 km de Clamecy, 40 km de Nevers.
• Accès ferroviaire : Gare inaugurée en 1878, assurant la liaison Paris-Nevers puis Paris-Autun (source : SNCF, archives locales).

Une importance stratégique dès l’époque gallo-romaine et mérovingienne

Corbigny s’intègre dans un réseau dense de voies antiques. Non loin coule la Cure ; en amont, d’importantes forges gallo-romaines ont été signalées (voir l’inventaire archéologique départemental). Le site marque aussi le passage entre les plaines du bassin de la Loire et les massifs boisés plus difficiles du Morvan, un facteur clé pour les échanges.

Au Haut Moyen Âge, la position frontalière de la ville lui vaut d’être mentionnée lors des conflits entre la Bourgogne et le Nivernais : le chroniqueur Orderic Vital cite le site en 1160 comme Cardiniacum, étape “stratégique pour l’acheminement vers Vézelay et Autun”. Plus tard, la proximité de la rivière Anguison favorisera l’installation de moulins et tanneries, pivots économiques du XII au XVI siècle (sources : “Histoire de la Nouvelle France, Corbigny” par J. Perrin, 1896).

Corbigny, halte sur les chemins de pèlerinage et croisée religieuse

Corbigny reste indissociable de sa célèbre Abbaye Saint-Léonard, dont la renommée fut telle que le village deviendra une étape majeure sur la route d’importants pèlerinages, en particulier sur celle de Saint-Jacques de Compostelle. Dès le XI siècle, la translation des reliques de Saint Léonard de Noblat attire fidèles et donations (source : Raymond Oursel, L’art roman en Bourgogne).

• L’abbaye accueille des pèlerins du Limousin, du Bourbonnais, du Berry, du Nivernais et du Morvan
• Des hôpitaux (aumôneries) pour voyageurs, dès le Moyen Âge
• Échanges de manuscrits, de reliques et de denrées, mais aussi de savoir-faire artisanaux au sein du bourg monastique

D’après une chronique du XII siècle conservée à Sens, plusieurs milliers de pèlerins affluaient vers Corbigny autour du 6 novembre, jour de la Saint Léonard – un chiffre exceptionnel pour une bourgade rurale (source : Archives départementales de la Nièvre, fonds du chapitre de Corbigny).

Carrefour commercial et relais politique aux époques moderne et contemporaine

Au fil des siècles, la route fait la ville : Corbigny devient, sous l’Ancien Régime, une étape sur la grande Route royale n°77 (Paris – Autun – Lyon). Les foires de Saint Léonard sont signalées dès 1467 comme “l’une des plus grosses du Nivernais”, spécialisées dans le cheval, le bétail et le bois (La Gazette de France, 4 novembre 1753). L’arrivée du chemin de fer en 1878 confirme cette vocation : la ligne est inaugurée en présence du préfet, reliant Corbigny à Paris et Dijon, mais aussi à Château-Chinon par un service de voitures de poste. Corbigny obtient alors un relai officiel et une gare de marchandises, renforçant son rôle de carrefour.

La commune connaît une activité commerciale significative : au recensement de 1896, on compte 24 auberges, 9 forgerons, 7 tanneries et 2 imprimeries actives (source : Archives INSEE Nièvre). Dans l’entre-deux-guerres, c’est à Corbigny que s’organise la collecte de bois du Morvan destiné à Paris par flottage sur l’Yonne, moment clé de l’économie locale (voir également Morvan, une montagne en Bourgogne, Vincent Peillon, éd. Autrement, 2012).

Le XX siècle : un nœud routier et ferroviaire réinventé

• La D985 et la D977, deux axes structurants reliant la ville à Nevers et Avallon
• Entre 1900 et 1970, le trafic ferroviaire double durant les foires et salons agricoles (source : Bulletin municipal de Corbigny, 1932-1971)
• Le marché du samedi voit affluer jusqu’à 250 commerçants ambulants en saison estivale dans les années 1960

Corbigny devient également un point de convergence pour l’administration : greffe, perception, services techniques du département y trouvent siège, bien que la démographie stagne autour de 1 600 habitants depuis les années 1950 (statistiques INSEE).

Carrefour d’influences humaines et culturelles : identité et enjeux d’aujourd’hui

La notion de carrefour n’est pas qu’économique ou géographique. Elle est humaine et culturelle. En témoigne la présence de nombreuses associations — culturelles, sportives, patrimoniales — qui font circuler idées et initiatives entre Morvan et Nivernais.

Corbigny a par ailleurs accueilli, dans l’histoire récente, plusieurs figures locales qui ont contribué à animer la vie régionale : le résistant Roger Couderc, le poète local Marcel Chopard, mais aussi des artisans d’art, des luthiers ou des éleveurs réputés.

Depuis vingt ans, de nombreux projets visent à revaloriser ce rôle de carrefour :

• Festival musical « Les Rencontres Musicales de Corbigny » attire chaque été plus de 2 500 visiteurs (source : site officiel RMCorbigny.fr)
• Développement du réseau de sentiers GR654 et Voie Verte du Canal du Nivernais pour relier randonneurs, cyclistes et touristes entre Loire, Yonne et Morvan.
• Pôle nature et patrimoine à l’abbaye, projets d’économie sociale et d’artisanat local

Enfin, Corbigny poursuit sa mission d’accueil : tiers-lieu numérique, maison de santé, immobilier à prix abordable, desservi quotidiennement par le train. L’enjeu n’est plus tant la traversée que la capacité à fixer — habitants comme projets de long terme — dans un paysage en profonde mutation.

Corbigny demain, au centre d’un territoire en mouvement

Le destin de Corbigny s’écrit avec la mobilité : au gré des routes, des fêtes, du passage des randonneurs, mais aussi grâce à la persistance de liens économiques et sociaux tissés avec les autres localités du Morvan, de la Nièvre et au-delà. Dès qu’on s’attarde sur la carte, Corbigny fait figure d’articulation vive : point de départ ou d’arrivée de multiples histoires, toutes ouvertes sur les horizons du Nivernais et du Morvan.

Pour beaucoup, traverser Corbigny, c’est éprouver le subtil mélange entre l’ancre et le passage, la tradition et la réinvention — et toucher du doigt ce qui fait la spécificité d’un véritable carrefour rural, ni tout à fait centre, ni tout à fait périphérie.

• Sources principales citées :
  • Archives départementales de la Nièvre, fonds Corbigny et Bulletin municipal
  • Cartes Cassini - IGN Remonter le temps
  • INSEE - Statistiques démographiques & économiques Corbigny
  • Ouvrage « Morvan, une montagne en Bourgogne », Vincent Peillon, 2012
  • Site des Rencontres Musicales de Corbigny
  • Raymond Oursel, L’Art roman en Bourgogne
  • “Histoire de la Nouvelle France, Corbigny” par J. Perrin, 1896