Clamecy : déchiffrer un nom, remonter un paysage d’histoires

Un nom qui intrigue : Clamecy, aux portes du Nivernais

Dans la vallée de l’Yonne, à la frontière subtile entre Morvan et Auxerrois, Clamecy attire le regard par sa silhouette d’ardoise, de ponts, de venelles, par son passé industriel et ses mystères linguistiques. Mais de quoi “Clamecy” est-il le nom ? Étrange assonance, dont l’origine n’a rien d’anecdotique. Décomposer ce toponyme, c’est plonger dans un mille-feuille de siècles, de langues, de pouvoirs et de mémoires.

Étymologie de Clamecy : hypothèses et sources

Le nom “Clamecy” fait l’objet de débats nourris depuis le XIX siècle. En croisant dictionnaires de toponymie, chroniques médiévales et analyses linguistiques, on peut aujourd’hui distinguer trois grandes pistes — sans qu’aucune ne s’impose pleinement.

  • Hypothèse gallo-romaine : Les spécialistes (Dauzat, Nègre, Ernest) relèvent que de nombreux toponymes en cy ou ciacum correspondent à des domaines ruraux gallo-romains se terminant par le nom d’un propriétaire, suivi du suffixe -acum (qui signifie « propriété de »). Ainsi, Clamecy viendrait du nom de personne gallo-romain « Clematius » ou « Clamatius », aboutissant à « Clamatiacum ». L’idée : Clamatius, notable local au IV ou V siècle, et son domaine placé ici où l’Yonne et le Beuvron s’étreignent. Appuyé par la toponymie de la Nièvre et les travaux de Marie-Thérèse Morlet.
  • Interprétation médiévale : Certains érudits y voient une contraction de “clame” (du latin clamare, crier) et “ci” (déformation de civitas, ville, ou du latin cita, cité). Cela aurait alors signifié “la cité où l’on crie”, possible référence à une place animée, un marché ou des rencontres publiques. Moins soutenue par la linguistique moderne, cette hypothèse garde une certaine poésie urbaine — et la mémoire des cris des flotteurs de bois dans le port du Beuvron.
  • Légende locale : D’antiques récits rapportent que Clamecy aurait été fondée lors d’un cri, d’un appel, appel à la constitution d’une cité-refuge au Moyen-Âge. Ces histoires, rapportées dès le XVII siècle, font surtout figure de folklore réinterprétant l’étymologie latine.

On trouve la ville appelée “Clamiciacus” dès le IX siècle dans le Cartulaire de l’abbaye de Saint-Germain d’Auxerre (Gallia Christiana), puis “Clamiciaco” au Xe et XI siècles, “Clamesci”, “Clamicy” jusqu’à la forme actuelle fixée au XVIII siècle.

Le toponyme, reflet d’un paysage et d’un pouvoir

Chaque nom de lieu nous parle d’implantation humaine. Au temps où “Clamatiacum” s’enracine, le territoire est marqué par :

  • La juxtaposition des influences gallo-romaines et franques, sur des terres à la fois rurales et stratégiques (contrôle des passages de rivière, routes du sel et du vin venant d’Irancy et du Chablisien).
  • Une présence de villas agricoles, attestées par la toponymie — “Varzy”, “Brassy”, “Montigny”, “Vauclaix” — signalant la maîtrise du paysage par de grands propriétaires terriens gallo-romains et le lent glissement vers la seigneurie médiévale.

Clamecy fut, du IX au XVIII siècle, propriété des comtes de Nevers, puis des évêques d’Auxerre. Pierre de Courtenay, comte visionnaire, fait de Clamecy sa capitale et y fonde l’hôpital royal dès le début du XIII siècle (1216), non sans peser sur la toponymie locale.

Le nom de la ville se confond alors avec celui de la justice et du marché, comme en témoignent des textes anciens : “Feria Clamiciaci” (foire de Clamecy), “Pont de Clamiciaco”. La micro-géographie urbaine (rue des Prêtres, quartier du Marché au Blé, port du Beuvron) découle directement de ce rôle médiéval affirmé de carrefour marchand et religieux (Annales, 1952).

Clamecy et ses légendes : entre histoire écrite et mémoire populaire

Au fil des siècles, le nom de Clamecy a donné matière à des récits pittoresques qui témoignent du besoin de légitimer ou de réenchanter l’origine d’une ville — une pratique commune dans la toponymie française. Parmi les anecdotes locales :

  • La croyance, relayée jusqu’au XIX siècle, que lors d’une nuit d’attaque ou d’incendie, le “clam” (cri) d’une sentinelle aurait sauvé la cité de Clamecy, donnant naissance à sa dénomination. (Source : Escholier, Histoire de Clamecy, 1883)
  • L’idée, populaire à la Belle-Époque, que Clamecy était “la cité du cri et des eaux”, illustration des débordements fréquents de l’Yonne et du Beuvron, que les habitants de la ville devaient sans cesse “clamer” pour prévenir des inondations. Il s’agit là d’un cas classique de réappropriation imaginaire d’un toponyme souvent trop sobre pour satisfaire l’appétit de sens collectif.

Ce folklore ne doit pas masquer la robustesse de la racine latine, indissociable de l’histoire sociale et économique du Nivernais : Clamecy attire car sa langue, paradoxalement, ne se donne pas à comprendre d’un seul regard mais offre la profondeur de son histoire en filigrane.

Un toponyme aux marges du morvan, carrefour d’eaux et de cultures

Ce que raconte le nom de Clamecy, avant tout, c’est l’histoire d’un point de rencontre. Le choix d’un site posé sur un promontoire, surveillant la vallée, à la croisée de l’Yonne et du Beuvron, n’a rien du hasard.

Au Moyen Âge, la ville s’impose comme étape-clef sur le chemin de Vézelay à Nevers (route de Saint-Jacques de Compostelle) et, dès le XVI siècle, pivot du flottage du bois vers Paris. Cette activité façonnera pour plusieurs siècles la vie et l’identité clamecienne ; le mot “flotteur” lui-même résonne encore dans la mémoire urbaine, de la Tour du Flottage aux murs tagués d’aujourd’hui. Mais c’est dans l’organisation même de la cité que le toponyme devient preuve : quartiers “en bas” (rive du Beuvron), “en haut” (rebord du plateau, ancien quartier noble), “Outre l’Yonne” (quartier populaire), qui jalonne les mutations démographiques de la ville.

Quelques chiffres :

  • À l’aube du XIX siècle, Clamecy comptera près de 7000 habitants, alors qu’elle n’en réunissait pas plus de 2000 deux siècles plus tôt (Archives départementales de la Nièvre). Ce dynamisme s’accompagne de nouveaux usages du nom : du “faubourg de la Chaîne” à “Clamecy-les-Bains” au temps du thermalisme (1870-1914).
  • La place de l’eau, si prégnante, est symbolisée dans les cartes anciennes — la plus complète étant le plan dressé par Léon Gambier en 1835 — où le nom “Clamecy” coiffe la confluence béante, comme pour rappeler que l’histoire du lieu s’abreuve au même flot que son nom.

À travers le nom, l’invention d’un sentiment d’appartenance

Les noms de villes, écrit le géographe Jean-Robert Pitte, “sont nos plus anciens récits d’habiter”. Celui de Clamecy, entre héritage romain et redécouverte médiévale, condense à lui seul des siècles d’appropriation et de revendication territoriale :

  1. L’ancien “Clamiciacus” latin ne disparaît jamais vraiment ; il se retrouve sur les sceaux, les manuscrits, dans les relevés cadastraux jusqu’à la Révolution.
  2. L’appartenance à un grand domaine rural antique, au fil des siècles, génère des alliances, suscite convoitises et protections. Le nom de Clamecy devient synonyme de centralité pour les hameaux alentour (Faubourg Escoffion, Surgy, Chevroches), qui s’y rattachent peu à peu.
  3. Une mémoire collective forte naît autour de ce nom, qui irrigue les associations, titulatures officielles (décrets de 1790, 1801), jusqu’au Foyer Clamecien du XX siècle, symbole du sentiment d’appartenance locale.

Pour aller plus loin : textes, cartes, archives

Quelques curiosités pour prolonger la quête du nom de Clamecy :

  • Le Cartulaire de Saint-Germain d’Auxerre (IX siècle) où apparaît pour la première fois « Clamiciacus ». (Consultable à la Bibliothèque nationale de France)
  • Plan de Clamecy (1835), Gambier
  • Le Dictionnaire topographique du département de la Nièvre, par Courtépée et Bouillet, 1864
  • Les travaux de toponymie de Marie-Thérèse Morlet (Les noms de personne sur le territoire de l’ancienne Gaule) et d’Albert Dauzat (Dictionnaire étymologique des noms de lieux en France).
  • La monographie Histoire de Clamecy du docteur Escholier (1883), foisonnante d’anecdotes.

Ouvrir le nom : une invitation à la lecture du territoire

Le nom de Clamecy est à la fois un vestige et une promesse. Il s’enracine dans la grande histoire des étagements de pouvoirs et de cultures qui ont façonné le Nivernais, oscille entre romanité terrienne et invention médiévale, se teinte de légendes tenaces et d’usages populaires. Entre l’appel puissant d’une racine gallo-romaine et la fécondité des réappropriations locales, Clamecy, dès son nom, invite à ralentir, à lever la tête, à voir que derrière le “ciacum” latin se cachent le tumulte du port, l’écho des clameurs de foires et la sédimentation patiente d’un paysage habité.

Les archives

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