Château-Chinon : aux origines féodales d’une citadelle morvandelle

Perché sur la crête, un toponyme révélateur

Dans les méandres boisés du Morvan, Château-Chinon impose sa silhouette sur le relief, comme un repère pour qui arpente cette zone rugueuse de la Nièvre. Le nom, à première écoute, intrigue par sa force évocatrice : « Château », le bastion ; « Chinon », une résonance singulière qui interpelle l’oreille et l’esprit. Mais que dit ce nom de l’histoire féodale du Morvan, et que reste-t-il aujourd’hui de ces lointaines origines de pierres et de pouvoir, nichées dans les plis de la petite cité morvandelle ?

Le sens caché du nom : entre latin, celtique et féodalité

Château-Chinon ne doit rien au hasard. Pour comprendre la richesse de cette appellation, il est essentiel de revenir à l’étymologie et au contexte dans lequel le toponyme s’est formé :

  • Château : du latin castellum, signifiant « fortin, forteresse ». Au Moyen Âge, ce terme revêt une portée particulière dans l’ancienne Bourgogne, où chaque sommet devient une place forte destinée à surveiller les voies, contrôler le territoire et défendre les populations rurales.
  • Chinon : les hypothèses abondent. Certains spécialistes (Paul Lebel, Toponymie de la Nièvre, 1923) y voient un dérivé du nom de personne gallo-romain « Canonius », d’autres évoquent une racine celtique Konion, évoquant une hauteur ou un sommet.

Par ce double ancrage linguistique, « Château-Chinon » affirme dès le XI siècle sa vocation défensive et seigneuriale, tout en rappelant la permanence d’une occupation du site depuis l’Antiquité.

La forteresse médiévale : chronologie et enjeux

Le Moyen Âge central transforme le paysage du Morvan : de simples domaines gallo-romains, la région passe à une dispersion de places fortes sur des éperons rocheux. Château-Chinon, cité pour la première fois au XI siècle dans une charte de l’abbaye de Cluny, s’impose alors comme le pôle défensif et administratif du Haut-Morvan (voir cartulaires de Cluny).

  • Au XI siècle, le castrum de Château-Chinon appartient aux comtes de Nevers, vassaux du duc de Bourgogne. Il contrôle les voies Est-Ouest (Autun – Nevers) et protège les populations contre les dévastations fréquentes, causées tantôt par des bandes armées, tantôt par les rivalités de seigneuries.
  • La forteresse, telle que décrite dans les textes du XII siècle (cf. Chronique de Saint-Pierre-le-Moûtier), comportait un donjon carré, des courtines renforcées, deux portes principales et des fossés secs. Autour, le bourg originel s’agglutine, cherchant la protection du seigneur.
  • Vers 1350, lors de la guerre de Cent Ans, le château subit plusieurs assauts, dont celui de la Grande Compagnie en 1368, relaté par Froissart. C’est durant cette période trouble que le château est modernisé et les remparts améliorés.

Château-Chinon dans la féodalité du Morvan : pouvoir, influences et rivalités

Château-Chinon n’était pas seulement une place militaire, mais le cœur administratif de la seigneurie de Château-Chinon, parfois désignée comme le « baronnie du Haut-Morvan ». Sa position en surplomb permettait de dominer, surveiller et gérer un territoire plus vaste que la ville elle-même, incluant de nombreux hameaux et forêts alentour.

Les seigneurs de Château-Chinon et la mosaïque féodale

Entre le XI et le XVI siècle, la seigneurie connaît une succession de propriétaires, souvent issus des grandes familles nivernaises, bourguignonnes ou, plus rarement, capétiennes :

  • Comtes de Nevers (XI – XIII siècles)
  • Famille de la Tournelle, alliée aux ducs de Bourgogne (XIV siècle)
  • Maisons de Bourbon et Boulogne, après 1450

À travers ces lignées se lisent les enjeux stratégiques du Morvan, point nodal pour le contrôle des routes forestières, du commerce du bois et du fer, et de la perception des impôts féodaux.

La vie sous l’ombre du château

  • Pour la petite population rurale, le château exerçait une autorité ambivalente : coercition (corvées, taille) mais aussi refuge en cas d’attaque.
  • Au pied de l’enceinte, les artisans, marchands et religieux étaient soumis au droit de ban, à la justice seigneuriale et aux coutumes locales. C’est ici, à l’abri du « grand mur » (vestiges visibles place Gudin), que se sont enracinés marchés, foires et lieux de mémoire collective.

Anecdotes et micro-récits autour du château disparu

Des vestiges matériels de la forteresse médiévale, peu subsistent. Les remparts ont été engloutis, les tours rasées sous la Révolution, et le site du château « vieux » accueille aujourd’hui l’actuel musée du Septennat. Pourtant, la mémoire populaire conserve, dans ses récits, des traces de ce passé féodal.

  • Selon une tradition locale, reprise par Eugène Viollet-le-Duc (Dictionnaire raisonné de l’architecture française, 1856), un souterrain reliait l’ancien château à la fontaine d’Argent, permettant aux assiégés de s’approvisionner en eau sans quitter les murailles lors des sièges.
  • En 1832, lors de travaux de nivellement du jardin public, des ouvriers mirent au jour plusieurs boulets de catapulte et fragments d’épées datés du XIV siècle, témoignages éloquents des conflits féodaux.
  • Le bourg conserve une toponymie éloquente : « rue du Donjon », « place du Rempart », « ruelle des Fossés » - chaque nom rappelle la topographie de l’ancienne enceinte.

Sous la pierre, la mémoire de l’histoire féodale

À parcourir aujourd'hui les rues de Château-Chinon, on devine encore la logique de la ville-forteresse : rues en escaliers, alignement des maisons, point de vue sur la vallée (la « Terrasse »). Pour qui sait lire le paysage urbain, la féodalité est partout :

  • Le tracé des anciennes fortifications, repérable sur le plan cadastral de 1839, montre la cité serrée en amphithéâtre autour du rocher sommital - technique classique des « castros » bourguignons.
  • Les archives communales révèlent que l’habitat intra-muros était réservé aux hommes « d’office » (clercs, notaires, forgerons) ; le « faubourg » rassemblait les paysans et travailleurs itinérants.
  • Les clochers à tuiles vernissées, apparus à la Renaissance, prolongent le souci d’affirmation visuelle du pouvoir local, initié par la silhouette du château.

La permanence du nom : un héritage revendiqué

Si le château médiéval a disparu, le nom de Château-Chinon demeure, comme une promesse : celui d’un territoire dont la structure sociale, la mémoire et même le paysage urbain restent marqués par la féodalité.

Parmi les multiples « châteaux » de la Nièvre, rares sont les bourgs à avoir conservé l’appellation jumelée « château + nom ». Château-Chinon porte ce legs avec une singularité forte – et un attachement local jamais démenti, jusqu’au maire François Mitterrand qui eût son cœur dans la ville haute.

Pour aller plus loin : sources, cartes et pistes de découverte

Les curieux pourront compléter cette exploration par :

  • Cartulaires et chroniques : Cartulaires de Cluny (XI-XII siècles), Chroniques de Saint-Pierre-le-Moûtier.
  • Ouvrages : G. Lépine, Le Morvan, histoire et monuments, éd. Picard, 1969 ; Paul Lebel, Toponymie de la Nièvre, 1923.
  • Cartes anciennes : Carte Cassini (XVIII siècle), plan cadastral communal de 1839 - année où l’on voit encore le contour de la vieille enceinte (Géoportail).
  • Musées : Musée du Septennat, musée du Costume et de la Mémoire locale.
  • Balades : Le circuit des remparts, balisé par la commune, prolonge cette découverte « sur le terrain » pour quelques heures ou une journée entière.

Comprendre pourquoi le nom de Château-Chinon évoque l’histoire féodale du Morvan, c’est saisir combien le passé est vivant dans les noms, dans la pierre et dans les récits. Marcher ici, c’est longer l’ombre des remparts et écouter la résonance d’une société médiévale dont il demeure tant à raconter.

Les archives

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