L’histoire des lieux à travers cartes et toponymie en Nivernais Morvan

Lire le territoire : carte en main, mémoire en tête

Sur la table d’une cuisine ou au détour d’une balade sur des chemins creux, la carte du Morvan et du Nivernais ne ment pas. Mais que dit-elle vraiment ? Bien plus que des tracés et des noms, elle raconte la façon dont ce massif ancien, ses vallées humides et ses collines boisées, ont été pensés, habités, défrichés ou défendus.

Au-delà des reliefs, chaque nom, chaque détour de sentier porte un fragment d’histoire. Comprendre la toponymie — l’étude des noms de lieux — et la lecture des cartes, c’est aussi ouvrir une porte sur la longue mémoire d’un territoire. Car ici, dans cette partie centrale de la France, les noms sont souvent les derniers témoins des mondes disparus, des métiers oubliés, des peurs et des espoirs du passé. Ils sont autant de repères pour celles et ceux qui cherchent à comprendre où ils posent le pied.

L’invention du paysage : la carte comme miroir de la société

Avant même les panneaux d'écotourisme, les cartes étaient faites pour celles et ceux qui devaient traverser, mesurer, exploiter ou défendre la contrée. Il reste aujourd’hui des collections de cartes anciennes, comme celles de Cassini (XVIII siècle), ou les premières cartes d’État-Major (XIX siècle) qui offrent une plongée rare dans la géographie des siècles passés. La carte Cassini, la première carte générale et géométrique du royaume de France, mentionne par exemple avec précision des bourgs naguère actifs et aujourd’hui disparus, tels que “La Besse” ou “Les Bruyères de Meure”, évoquant ainsi les saisons agricoles révolues et la part du vide encore présente dans les forêts de 2024.

La transformation des paysages apparaît dans la répétition de termes liés au défrichement: “La Grange” (du latin granica), “Le Champ”, “Le Pré”, “La Montagne” — donnant à voir la longue conquête de l’espace par l’homme, de l’openfield médiéval aux grandes forêts plantées de l’ère napoléonienne. Les cartes n’oublient ni les chemins qui s’obstinent à relier les “Vau”, “Fontenay”, ni la trace des anciennes routes du sel ou du bois.

Noms à raconter : ce que dit la toponymie rurale du Morvan

Le Pays Nivernais Morvan se distingue par une toponymie très variée, reflet de multiples langues (gaulois, latin, vieux-français, bourguignon, occitan) et d'une mosaïque d’influences naturelles, sociales, et culturelles.

  • Hydronymie : Les noms de rivières comme la Yonne (racine préceltique Icauna), la Nièvre (Nigra, la rivière noire), la Cure (cura, « l’eau courante ») ou la Beuvron (du gaulois bebrum, le castor), témoignent d’une mémoire encore plus ancienne que les églises romanes — celle d’un rapport direct à l’eau, bien vital, économique et stratégique.
  • Toponymie paysanne : Les suffixes “-on”, “-ey”, “-oux”, “-ès” (comme Savigny-les-Beaune, Corbigny, Ouroux) sont très fréquents et viennent du latin, signifiant souvent “le domaine de”. Les nombreux “Gouloux”, “Brassy”, “Chissey”, indiquent ainsi propriétés ou établissements d’origine gallo-romaine ou médiévale.
  • Vestiges médiévaux et légendes : Les “Château-Chinon”, “Montreuillon”, “La Roche” évoquent châteaux-forts, sites défensifs ou points de passage vers des lieux légendaires : la Pierre qui Vire, le Saut du Gouloux.
  • Présence de l'homme et ses métiers : Les “Moulin”, “Forge”, “Faye” (hêtraie), “La Tuilerie”, “La Chaux”, marquent l’activité industrielle ou artisanale. Aujourd’hui, il reste plus de 300 lieux-dits « Moulin » ou « Forge » recensés sur les seules cartes IGN de la zone Nivernais Morvan.

Quand les cartes corrigent la mémoire ou la déréalisent

Les endroits oubliés, les villages disparus, mais encore présents dans la mémoire collective localisée, constituent l’un des paradoxes de la cartographie. Certaines cartes anciennes révèlent des hameaux aujourd’hui engloutis par la forêt ou les barrages construits au XX siècle. Ainsi, le lac de Pannecière né du barrage (1949) engloutit tout un réseau d’anciennes fermes, moulins et petits ponts, qui survivaient sur les cartes d’avant-guerre (Source : Archives départementales de la Nièvre).

La toponymie devient alors un outil précieux pour les chercheurs en histoire locale ou les généalogistes : une vieille photo, un acte de naissance, une mention de “l’Étang des Marnes” permet de recroiser un passé qui, sans la carte, serait devenu invisible. L’exercice de la “paléographie toponymique” (lecture des anciens noms) offre alors des surprises : la variante “Chazelles” — désignant anciennement les huttes de charbonniers — dessine, sur la carte, l’histoire perdue de la métallurgie forestière médiévale du Morvan (Philippe Madeline, Géographie et histoire du Morvan, 2002).

Les cartes et les noms, miroirs d’enjeux contemporains

La carte ne fige jamais un paysage. Au contraire, la constante évolution des noms et des tracés traduit aussi la transformation sociale du Morvan. On observe, depuis la fin du XIX siècle, une tendance à l’effacement de certains lieux-dits ou chemins sur les cartes officielles, résultant de l’exode rural mais aussi du reboisement massif (près de 50 % du massif du Morvan est aujourd’hui boisé, contre 37 % en 1820 — Source : Parc Naturel Régional du Morvan, données 2015).

La toponymie revient parfois dans les débats locaux. Les associations patrimoniales militent régulièrement pour rétablir ou sauvegarder les noms de hameaux ou de sites naturels menacés d’oubli, y voyant une condition essentielle à la préservation du patrimoine immatériel (Source : Agence régionale du Livre Bourgogne Franche-Comté). De nombreux projets communautaires (ex: balisage participatif des anciens chemins de Galvaud, cartographie collaborative des toponymes en occitan local) redonnent vie à ces repères disparus des cartes modernes mais toujours présents dans la mémoire orale.

Cartes à parcourir, noms à écouter : pistes de découvertes

Envie de prolonger cette plongée dans le passé ? Plusieurs ressources sont aujourd’hui accessibles au public, pour enrichir l’expérience de la marche ou de la simple curiosité :

  • Le Géoportail de l’IGN (geoportail.gouv.fr) permet de superposer cadastres anciens, cartes topographiques et photographies aériennes.
  • La bibliothèque numérique Gallica (gallica.bnf.fr) offre un accès libre à de nombreuses cartes historiques du Nivernais et du Morvan, de la Renaissance à l’ère contemporaine.
  • Les Atlas linguistiques — tels que l’Atlas Linguistique de la France d’Edmond Edmont et Jules Gilliéron (fin XIX siècle) — révèlent la richesse des variantes dialectales et toponymiques régionales.
  • Les associations locales (Société scientifique du Morvan, Musées locaux…) éditent souvent des recueils d’onomastique (étude des noms propres) ou organisent des balades commentées sur le terrain.

L’avenir du Morvan vu à travers ses cartes et ses noms

Explorer l’histoire du Nivernais Morvan par la carte et la toponymie, c’est mesurer à quel point chaque sentier, chaque ruisseau et chaque champ nommé porte la trace d’une expérience collective — parfois humble, souvent émouvante, toujours multiple. Les noms anciens, disparus ou ressuscités, les chemins effacés ou retrouvés, tout cela forme le gisement d’un patrimoine vivant.

Marcher sur ces terres en lisant la carte et en interrogeant les noms, c’est renouer un dialogue entre passé et présent. C’est aussi relier les questions d’aujourd’hui — gestion forestière, désertification rurale, patrimoine en péril — à la longue durée paysanne et humaine qui a modelé le Morvan et le Nivernais. Pour qui sait regarder et écouter, la carte ne ment pas : elle réveille ce que la terre n’a pas fini de raconter.

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