Des limites floues : quand le Morvan défie la frontière
Du « pays de montagnes » aux premières circonscriptions
Dans les textes médiévaux, le Morvan n’est pas une entité politique clairement définie, mais une désignation géographique et culturelle : un « païs de montaignes » selon la Chronique de Saint-Bénigne de Dijon (XVe siècle). Ce n’est qu’avec la généralisation de la cartographie administrative, au XVI et XVII siècles, que la question de ses frontières devient pressante.
La carte de Guillaume Delisle (1716), l’un des joyaux de la cartographie bourguignonne, figure le Morvan comme une région montagneuse englobant le sud-ouest de la Côte-d’Or, le nord-ouest de la Saône-et-Loire, et une grande partie de la Nièvre, épousant un vaste triangle — du Mont Beuvray à Château-Chinon, à Saulieu. Le mot « Morvan » apparaît explicitement, mais sans bornes précises, seulement suggérées par la teinte des reliefs ou le motif des forêts.
Jusqu’au XVIII siècle, les cartes dites « générales » (de l’évêché d’Autun ou du duché de Bourgogne) n’intègrent le Morvan qu’en filigrane, sous forme de taches vert sombre ou de traits de hachure marquant « les bois du Morvan ». Un flou volontaire, parfois même revendiqué : pour les géographes et les administrateurs, fixer les bornes exactes du Morvan était autant un défi qu’une prudence, tant la région se targuait de ses paroisses rétives et de ses chemins « mouvants ».
Le Morvan sur la carte de Cassini : naissance d’une frontière plus nette
C’est avec la fameuse carte de Cassini, achevée dans les années 1780, qu’apparaît une représentation systématique du Morvan à l’échelle du royaume. Les gravures des feuilles, précises, font ressortir pour la première fois un « espace montagnard » continu, structuré autour des bourgs de Lormes, Quarré, Château-Chinon et Autun. Toutefois, la dénomination « Morvan » demeure absente de nombreuses feuilles, preuve que ce massif s’impose plus par sa réalité physique que par une existence administrative reconnue.
Encore en 1830, le Dictionnaire géographique de l’abbé Courtépée décrit un Morvan « long de 20 à 25 lieues et large de 3 à 6 », soulignant combien « ses bornes sont difficiles à tracer, car les populations n’y voient pas toutes la même frontière ».