Dans les coulisses du Bazois : la vie secrète des haies bocagères et leur rôle dans la biodiversité

Un paysage façonné par des siècles de haies

Le Bazois, ce territoire du Morvan longtemps méconnu mais oh combien attachant, se distingue par son cœur bocager. Ici, la haie ne se contente pas de séparer ou d’orner les champs : elle structure le paysage, défie le temps et façonne les façons d’habiter et de cultiver la terre. Rien qu’à observer les cadastres napoléoniens exposés à la mairie de Châtillon-en-Bazois, on mesure l’ancienneté de ce maillage vert, essentiel tant à l’élevage qu’à la vie quotidienne rurale. Un article du CPIE Bourgogne estime que dans les années 1950, le linéaire de haies dans la Nièvre dépassait les 30 000 km. Aujourd’hui, dans certains cantons du Bazois, il peine à dépasser les 5 000 km — une perte évaluée à plus de 65% en soixante-dix ans (Source : CPIE Bocage).

Des refuges pour une biodiversité insoupçonnée

Les haies bocagères, véritables épines dorsales écologiques, apparaissent aujourd’hui comme des abris remarquables pour une myriade d’êtres vivants.

  • Oiseaux nicheurs : Rougegorges, fauvettes à tête noire, buses variables ou encore chouettes chevêches logent, chassent et se reproduisent dans les enchevêtrements de prunelliers et de sureaux. Le dernier recensement ornithologique du Groupe Ornithologique Nivernais comptabilise une quarantaine d’espèces d’oiseaux dépendantes du bocage local.
  • Mammifères et chiroptères : Hérissons, belettes, chevreuils mais aussi vers, musaraignes et plusieurs espèces de chauves-souris (notamment la pipistrelle commune et le petit rhinolophe) circulent, se nourrissent ou trouvent refuge dans les haies épaisses et leurs abords. Les chauves-souris du Bazois utilisent la continuité des haies pour naviguer sans être exposées aux prédateurs nocturnes (source : PNR Morvan).
  • Insectes et pollinisateurs : On dénombre, sur certains linéaires diversifiés, jusqu’à 400 espèces d’insectes par hectare, selon une estimation de l’INRAE Dijon, 2019. Les haies fleuries, riches en aubépines, ronces ou troènes, attirent abeilles sauvages, papillons (citron, vulcain, flambé) et syrphes qui assurent la pollinisation des cultures alentour.
  • Flore singulière : Le bocage du Bazois, plus acide que dans la plaine nivernaise, abrite des arbustes indigènes comme le noisetier, le cornouiller sanguin ou le viorne obier, mais aussi des orchidées sauvages, témoin d’une gestion extensive et patiente du territoire (observations croisées lors du à Mont-et-Marré).

Petites histoires, grande mémoire des haies

La haie du Bazois nourrit des récits hérités d'avant la Révolution. Dans les années 1830, le sous-préfet de Château-Chinon notait déjà dans son rapport d’arrondissement : « Les haies sont la vigie et la mesure du progrès ; là où elles tombent, tombent aussi les nids des oiseaux et les souvenirs des habitants. » Une anecdote rabâchée aux assemblées communales de Limanton raconte comment une vieille haie de charmes, intouchée depuis 1914, aurait permis de sauver une couvée de linottes pendant la sécheresse de 1976…

Les recueils ethnographiques rappellent aussi que jusque dans les années 1960, chaque coupe était réfléchie : les enfants ramassaient les baies de prunelier pour la gelée, les femmes cueillaient frênes et noisetiers pour l’artisanat, et les haies fournissaient en hiver du bois de chauffage ou de la vannerie (source : “Mémoire orale rurale du Nivernais”, Archives départementales).

Fonctions écologiques et services écosystémiques des haies bocagères

Des corridors verts : relier, protéger, restaurer

Une haie bien entretenue relie les bois, les prairies et les mares, tissant une trame verte qui facilite les déplacements des espèces. On parle d’“effet corridor” : les haies permettent aux amphibiens et invertébrés de gagner des zones humides, aux oiseaux de migrer d’un secteur à l’autre, limitant ainsi la fragmentation des habitats. Les études du patrimoine écologique de l’AFB montrent que les territoires bocagers riches enregistrent une biodiversité spécifique jusqu’à 30% supérieure à celle des secteurs de grandes cultures ouvertes.

Des puits de carbone en miniature et des alliées face au changement climatique

Une haie adulte capte, selon l’INRAE, entre 1,5 et 2,6 tonnes de CO₂ à l’hectare et par an. Elle atténue également l’effet d’îlots de chaleur, freine la vitesse du vent — limitant l’érosion des sols — et joue un rôle tampon lors des crues ou des sécheresses, grâce aux réseaux racinaires des arbres et arbustes (source : “Haies et adaptation aux changements climatiques”, ADEME, 2020).

Garde-fous contre l’appauvrissement biologique et la standardisation paysagère

En maintenant des haies pluri-étagées (arbres de haut jet, arbustes, manteau herbacé), les agriculteurs du Bazois freinent la régression de la faune champêtre (ex. : moineaux friquets, lézards gris, sauterelles du bocage). Les campagnes de fauche tardive et de taille douce, adoptées sur certains linéaires, permettent d’éviter les “fenêtres de silence” écologique qui frappent ailleurs en France.

Enjeux contemporains et pistes d’avenir pour le bocage bazois

Une dynamique de recul, mais des initiatives locales encourageantes

Le XXe siècle a mis le bocage du Bazois à rude épreuve. Mécanisation, regroupement parcellaire, pressions économiques : la plupart des communes ont vu leur linéaire de haies reculer, parfois de moitié entre 1950 et 2000. Mais depuis 2010, des programmes comme "Plantons le bocage", portés par la Communauté de Communes Bazois Loire Morvan et l’Association d’Initiative Bocagère, ont permis la plantation ou la restauration de plus de 40 km de haies par an dans le secteur.

  • Replantation participative : Chaque hiver, une dizaine de chantiers de plantation fédérent agriculteurs, collégiens, chasseurs, et simples habitants autour de projets de haies mellifères ou fruitières, parfois implantées sur d’anciennes limites de parcelles bien identifiées par les cartes de 1832 (sources : CC Bazois Loire Morvan).
  • Valorisation du bois bocager : En parallèle, des filières locales de bois énergie et paillage renaissent modestement, incitant les agriculteurs à entretenir des haies multiformes.
  • Suivi scientifique et animation scolaire : Le suivi faunistique piloté par le PNR du Morvan a débuté des inventaires nocturnes dans les haies anciennes, tandis que les écoles svt de Châtillon et Alluy organisent chaque printemps leurs « classes bocagères ».

Perspectives et défis du bocage bazois

Préserver les haies, c’est parier sur le temps long. Le bocage du Bazois montre à quel point la richesse de la biodiversité locale dépend des gestes quotidiens, du respect de la mosaïque parcellaire et de la transmission d’un savoir-faire. Face à la crise du vivant, à l’homogénéisation rampante des paysages, chaque haie entretenue, chaque jeune plant mis en terre porte l’espoir de restaurer un équilibre menacé.

En 2022, la commune de Montapas a recensé un retour marqué du loriot d’Europe et du muscardin sur des haies replantées depuis moins de dix ans. Une preuve que la nature sait se montrer résiliente lorsque l’on recrée ces refuges, même de manière modeste.

Patrimoines vivants, les haies bocagères du Bazois prouvent qu’enracinées dans la mémoire collective, elles restent une pièce maîtresse des écosystèmes, mais aussi de la qualité de vie et de l’identité de ce territoire du Morvan.

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