La Cure, rivière vivante : secrets et singularités de sa traversée du Morvan

Un fil d’eau, une colonne vertébrale : repères géographiques et carte d’identité de la Cure

La Cure est ce que les géographes appellent une rivière structurante : elle modèle, irrigue et unit le finage du Morvan oriental. La source de la Cure se trouve en Côte-d’Or, au cœur de la commune d’Anost, sur le versant nord du mont Préneley, à 652 mètres d’altitude. Dès ses premiers mètres, la Cure appartient totalement au territoire du Morvan, et s’ancre ainsi dans l’une des régions les plus boisées et humides du Centre-Est.

La Cure parcourt ensuite 113 kilomètres avant d’aller grossir l’Yonne à Cravant, dans le département du même nom. Sur ses 60 premiers kilomètres, elle traverse le Parc naturel régional du Morvan de part en part, traçant des courbes parfois brutales (la vallée d’Avallon, entaillée de calcaires, prend des allures de canyon), multipliant gorges abruptes et alluvions douces. Quelques chiffres et faits marquants :

  • Longueur totale : 113 km dont près de la moitié dans le périmètre du Morvan
  • Bassin versant : 1 283 km²
  • Débit moyen à Pierre-Perthuis : 16,2 m³/s (Source : Banque Hydro, 2005-2019)
  • Principaux affluents dans la partie morvandelle : le Chalaux, le Trinquelin, le Cousin

Le chemin de la Cure n’est ainsi nulle part linéaire : elle s’engouffre, se divise en bras secondaires, façonne une série de méandres au gré des granites soudains et des replats argileux.

La Cure sauvage : nature, reliefs et continuités écologiques

L’une des singularités majeures de la Cure réside dans la diversité de ses habitats au fil de ses kilomètres morvandiaux. Des tourbières sources d’Arleuf aux gorges de Pierre-Perthuis, elle croise des milieux rares en France :

  • Tourbières et zones humides : Dans sa haute vallée, la Cure traverse plusieurs tourbières typiques du Morvan, refuges de plantes endémiques comme la droséra (plante carnivore protégée) et la linaigrette.
  • Gorges granitiques : Notamment entre Saint-Brisson et Pierre-Perthuis, la Cure a entaillé des gorges profondes, aujourd’hui le paradis des kayakistes mais aussi des loutres d’Europe, revenues depuis les années 1990 (suivi PNRM–ONCFS).
  • Ripisylves et forêts riveraines : Les rives abritent une importante biodiversité : des chauves-souris (Minioptère de Schreibers), martins-pêcheurs, saules têtards et vieux aulnes noirs.

La rivière joue aussi un rôle essentiel en termes de corridor écologique, traversant une zone Natura 2000 (Vallée de la Cure et Chalaux). Ces habitats accueillent une dizaine d’espèces protégées et participent au maintien de liens naturels entre le Morvan et l’Yonne aval.

Usages, retenues et impacts humains : du barrage de Crescent à la Cure en liberté

Tout au long du XX siècle, la Cure a été aménagée pour répondre à des besoins parfois très contradictoires : alimentation en eau potable, production hydroélectrique, soutien d’étiage, mais aussi loisirs.

  • Trois grands lacs-réservoirs jalonnent sa course morvandelle :
    • Lac de Crescent (créé en 1932) – 1,6 km²
    • Lac des Settons (bien que sur la Cure, il communique avec l’amont via un canal déviant légèrement le cours historique)
    • Lac de Chaumeçon (1931) – 1,35 km²

Le barrage de Crescent (force motrice, eau potable) a transformé ponctuellement la dynamique naturelle de la rivière, notamment la température de l’eau aval (impact sur les truites et insectes aquatiques selon une étude ONEMA 2016) et les rythmes de crues-étiages.

La Cure a pourtant su conserver sur de longs tronçons sa « liberté » fluviale. Entre Montsarny et Pierre-Perthuis, rares sont les obstacles, et la présence de gués et de moulins anciens rappelle les usages passés sans altérer le paysage : on y lit la place du flottage du bois vers Paris entre le XVII et le XIX siècle. Le flottage a laissé des traces visibles, comme la maison du Flottage à Pannecière ou des vestiges de barrages éphémères (appelés « pertuis »), dont certains ont donné leur nom à des hameaux (Pierre-Perthuis).

  • Énergie et loisirs :
    • 5 microcentrales hydroélectriques entre le Haut-Morvan et Pierre-Perthuis
    • Descente en canoë, baignade, pêche à la mouche – filiation directe avec la riche vie piscicole (truite fario, ombre commun)

Paysages et patrimoine : la Cure, ligne de mémoire et d’inspiration

Traverser le Morvan en longeant la Cure, c’est aussi rencontrer une formidable diversité paysagère et patrimoniale. Les villages « en balcon » comme Saint-André-en-Morvan, Brassy ou Pierre-Perthuis témoignent d’un dialogue constant entre rivière et habitat humain.

  • Les ponts et passages de la Cure
    • Pont roman de Pierre-Perthuis : un chef-d’œuvre du Moyen Âge sur un éperon rocheux
    • Pont du Coudray à Asquins : architecture du XIX siècle, associé au pèlerinage de Vézelay
  • Le val de la Cure à Vézelay : Classé site UNESCO, la vallée borde la colline éternelle, et faisait figure de frontière stratégique lors de la Guerre de Cent Ans.
  • Anecdotes :
    • La baignade du vendredi à Pierre-Perthuis, immortalisation de la vie locale au fil du XX siècle, racontée par l’écrivain Louis Charpentier dans « La Bourgogne de l’aventure ».
    • Les bateliers de la Cure étaient réputés pour leur caractère frondeur, prêtant à la rivière le surnom de « la Têtue » dans les récits populaires collectés par Henri Vincenot (« La Billebaude »).

On trouve d’anciennes cartes postales vantant « l’été au Val de la Cure », où l’on voit des barques plates parcourir la rivière, preuve d’une relation historique entre la Cure et le tourisme de proximité dès la Belle Époque (Gallica, archives photos).

Légendes, récits et engagement : la Cure comme source d’imaginaire collectif

La Cure, à la croisée des forêts profondes et des vallons lumineux, a nourri de nombreux récits locaux. Elle est associée à différents noms et légendes :

  • La fée de la Quarrée, qui aurait habité les grottes de Pierre-Perthuis et sauvé des enfants lors d’une crue historique de 1792 (document Société nivernaise de folklore, 1927)
  • Des croyances autour des « pierres de la Cure », roches polies par l’eau et utilisées comme talismans au XIX siècle pour préserver les troupeaux

De plus, la Cure est aujourd’hui un symbole de mobilisation environnementale. En 2017, elle a été l’objet d’une large campagne contre les microplastiques et pesticides, déclenchée par la pollution détectée dans le bief amont, entre Anost et Brassy (France Bleu).

La Cure demain : gestion, adaptation et regards sur le futur

Face au changement climatique, la Cure reste surveillée : ses débits estivaux baissent et sa température moyenne s’élève de +1,6°C depuis 1970 (rapport Agence de l’Eau Seine-Normandie, 2022). Localement, les associations de pêcheurs, le Parc naturel régional du Morvan et des collectifs citoyens agissent pour la continuité écologique : arrachage de plantes invasives, réouverture de bras morts, suivi de la reproduction de la truite fario.

  • Un Plan de Gestion de la Ressource en Eau (PGRE) a été établi en 2019.
  • Des actions régulières de restauration, telle la réhabilitation d’un tronçon à Saint-Agnan en 2021, favorisent le retour des frayères piscicoles.
  • L’éducation à l’environnement s’appuie beaucoup sur la Cure, à travers classes d’eau et randonnées guidées.

Pour une rivière qui relie

La Cure, en traversant le Morvan, fait se rencontrer reliefs, légendes, villages et histoires humaines. À l’écoute de ses méandres, on comprend que la rivière n’est pas qu’une ligne sur une carte, mais une matrice vivante, toujours en mouvement, où chacune de ses singularités invite à explorer, protéger et transmettre.

Sources principales : IGN, Parc naturel régional du Morvan, Agence de l’Eau Seine-Normandie, Banque Hydro, ONCFS, Société nivernaise de folklore, Archives départementales de la Nièvre.

Les archives

Au fil de l’eau : rivières et étangs qui dessinent le Nivernais Morvan

Le Nivernais Morvan, si souvent évoqué comme un pays de forêts et de collines, est avant tout une terre d’eaux. Ses paysages, modelés depuis des millénaires par l’action discrète mais persistante des rivières...

Les vallées du Nivernais : artères vivantes du territoire et de son organisation

Au cœur du Nivernais, la vallée n’est jamais un simple creux dans la carte : elle structure l’espace, sculpte les paysages, dicte l’histoire des hommes. À l’échelle de la Nièvre, on dénombre plus de...

De la montagne à la Seine : l’Yonne, une rivière née du Morvan et forgée par les hommes

La question peut sembler anodine. Pourtant, demander où prend source l’Yonne, c’est aussitôt plonger dans la géographie intime du Morvan, dans ce réseau touffu de forêts et de landes d’altitude qui n’a...

La Loire, digue vivante du Nivernais : histoire d’une frontière naturelle

Longue de plus de 1 000 kilomètres, la Loire découpe la France d’est en ouest, mais c’est dans le Nivernais qu’elle révèle le mieux sa puissance de frontière naturelle. Ici, le fleuve s’impose...

Reliefs et paysages du Pays Nivernais Morvan : diversité, histoire et identité d’un territoire singulier

Lorsqu’on arpente les chemins du Morvan, on est frappé par le contraste entre la douceur de ses collines et la puissance tranquille de ses crêtes. Ce massif appartient à la grande famille des montagnes anciennes françaises, à l’instar...